Chapitre 3. Des usages, des fonctions et des définitions

3.1. Le regard de la société

A partir de critères sociaux préétablis, on identifie une personne jusque-là inconnue. Son « identité sociale » dressée, on la rejette si un de ses « attributs » ne correspond pas aux critères. Erving Goffman 86 qualifie ces attributs de « stigmates ». Quand le stigmate est isolé, la personne est dévaluée. Si celle-ci est consciente de son marquage social, elle le cache d’autant plus fortement qu’elle a dans la société une place nécessitant l’excellence. L’école a produit des critères d’évaluation stricts. Les élèves sont classés dans des catégories selon les résultats obtenus. Si ces derniers ne correspondent pas à ceux de leur classe d’âge, les élèves produisent une image qui les met en marge de la normalité.

Sont accueillis à l’école, non des personnes vierges de toute référence sociale, mais des enfants appartenant à une famille, une fratrie, un quartier. Les « étiquettes » que les enseignants portent à ces « nouveaux arrivants » sont normales dans les relations humaines. Si l’on y prend garde, elles marquent l’élève d’une image indélébile : le stigmate. On ne s’étonne pas de la non réussite d’un enfant issu d’une famille réputée pour son « petit niveau intellectuel ». En classe, ces enfants ne font pas l’objet des mêmes attentions que les autres puisque leurs difficultés scolaires sont considérées comme ordinaires, comme tous les membres de sa « tribu » 87 . En revanche, on s’étonne des difficultés d’un enfant issu d’une famille porteuse d’autres références sociales. On s’intéresse davantage à lui puisque sa difficulté n’entre pas dans la normalité des choses. Ainsi fonctionnent et agissent les « cadres sociaux » énoncés par Erwing Goffman. Ces cadres dressent l’identité sociale d’une personne, lui attribuent une image dont elle a du mal à se défaire compte tenu « des critères d’exigence qui sont formulés à son égard » 88 .

Les représentations sociales de l’échec scolaire se construisent à partir de la normalité. « Ces représentations pèsent également sur les proches de l’enfant en difficulté » 89 . La famille peut être déconsidérée par l’entourage social, l’enfant perd des camarades, on ne le juge pas fréquentable. Cet échec a des retentissements sur la cellule familiale allant jusqu’au cas extrême de l’éclatement de la famille. La fratrie subit les conséquences des mauvais résultats scolaires d’un des leurs. Un phénomène de rejet à l’école apparaît et les membres d’une même famille ne se parlent pas, n’arrivent pas ensemble à l’école, ne se sentent plus responsables les uns des autres. L’élève rejeté n’est pas défendu par ses frères et sœurs en cas de conflit entre pairs à l’école où il joue son rôle et où il a sa place de « mauvais élève » : le mauvais objet.

Notes
86.

GOFFMAN E. 1975. Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, p. 12.

87.

GOFFMAN E. 1975. Ibid.

88.

GOFFMAN E. 1975. Ibid.

89.

PERRON R., AUBLE J.-P., COMPAS Y. 1994. L’enfant en difficultés, l’aide psychologique à l’école, Paris, Privat, p. 79.