1.2. Vers la définition d’un profil des maîtres E

S’agissant du nom de leur métier, la moitié des personnes interrogées tient à sa spécialisation et la mentionne. Les maîtres E sont spécialisés avant d’être enseignants, un métier d’enseignant particulier dans la profession.

Cette différence installée représente pour les maîtres E un statut à part entière au sein du groupe instituteur. Ils citent des reproches entendus : les maîtres généralistes les pensent paresseux, marginaux et décidant seuls de ce qu’ils doivent faire. Les maîtres E disent que la différence vient du regard qu’on leur porte et qu’ils ne l’installent pas eux-mêmes. Tous considèrent travailler différemment des maîtres généralistes, deux personnes vont même jusqu’à dire que seuls les spécialisés sont capables de s’adapter aux différentes situations rencontrées. Nous faisons l’hypothèse que les maîtres E se considèrent eux-mêmes comme à part dans la profession d’enseignant du premier degré. Ce dernier point est retenu dans l’analyse des causes des tensions lors de la vérification de l’hypothèse de recherche.

Des différences de points de vue sur un enfant sont considérées comme source de mésentente entre les généralistes et les spécialisés. Respectivement, les uns considèrent les lacunes des enfants, alors que les autres, mettent davantage l’accent sur les progrès. Une tâche plus aisée que dans les classes généralistes est reconnue par les maîtres E.

D’autres différences de statut, cette fois hiérarchique, sont évoquées par les maîtres E. Un quart seulement des personnes interrogées ne sentent pas de hiérarchie dans le groupe instituteur. Un autre quart évoque à nouveau les statuts de professeur des écoles et d’instituteur comme responsables de différences ressenties sur le terrain. Plusieurs personnes sentent une hiérarchie dans l’équipe d’école. Elle est jugée comme pesante car constituée de relations de savoirs et de savoir-faire assimilées à de l’agressivité, chacun défendant sa position, mettant son ancienneté en avant. C’est cette ancienneté qui est le plus souvent avancée comme facteur installant une hiérarchie. Une position forte dans l’équipe, une implication plus importante dans la vie de l’école est également comparée à une forme de hiérarchie. Celle due à la spécialisation est très peu avancée.

Les personnes interrogées sont satisfaites de leur salaire, toutes tranches d’âge confondues. Un quart seulement considère être insuffisamment rémunéré. Ce point de vue sur les salaires permet à une majorité, encore une fois, de se classer dans la classe moyenne des salariés.

La représentation que les maîtres E se font de leur profession est fortement empreinte de marquage social. L’image de l’enseignant leur colle à la peau, ils s’imaginent qu’on les distingue des autres membres de la société, il n’est pas utile d’avancer sa profession, elle se devine. Certains pensent véhiculer une image négative d’eux-mêmes et de la profession en général. Ils ont l’impression d’être mal considérés, d’être qualifiés de « râleurs ». Nous considérons donc que les maîtres E mettent en avant leur spécificité, dans le cadre professionnel, mais pas en société. La différence installée se confirme ici, elle est purement professionnelle et volontaire.

Les contraintes inhérentes au métier sont multiples. Le manque de temps (au détriment de l’enfant), la multiplicité des lieux d’intervention (qualité de travail moindre), le décalage entre enseignants généralistes et enseignants spécialisés ainsi que les jugements portés sur les élèves, sont les éléments ayant la plus grande fréquence d’apparition. En revanche, le travail en équipe et les échanges entre collègues sont cités par 80 % des personnes interrogées comme facilitant le travail, le rendant agréable.

A partir de l’analyse des entretiens, trois points apparaissent comme révélateurs d’un dysfonctionnement dans l’école française. Il s’agit de la capacité d’adaptation des membres de la profession, des programmes, et de la formation à l’autonomie et à la responsabilité.

  • Le premier point, celui de la capacité d’adaptation, révèle que 90 % des personnes interrogées ne la considèrent pas comme un élément caractérisant les membres du groupe instituteur. En revanche, le fait que deux personnes pensent que dans le spécialisé seulement la capacité d’adaptation est observable, contribue à l’auto stigmatisation et à l’installation volontaire d’une différence.
  • Le second point révélateur de dysfonctionnements concerne les programmes. La plupart des personnes interrogées les déprécient et aimeraient les voir allégés.
  • Le troisième point concerne la capacité de l’école à former de futurs citoyens. Trois personnes seulement considèrent que l’institution s’acquitte correctement de cette mission. Pour les autres, ce n’est pas à l’école que l’on forme des citoyens.

La quasi-totalité des personnes interrogées souhaite accorder une place aux parents dans l’école. Cette place est appréciée sous diverses formes et, sans la désirer trop importante, une collaboration pour l’intérêt de l’enfant est majoritairement évoquée. Faire entrer les parents dans l’école leur permet de se rendre compte de la réalité du terrain et ainsi de faire évoluer la représentation qu’ils en ont.

Les maîtres E avancent diverses causes des difficultés des élèves dont ils ont la charge. Celles-ci peuvent être générées et/ou accentuées par l’école qui révèle des problèmes existants. Dans ce cas, ce sont des difficultés d’ordres social et affectif qui sont avancées, marquant l’enfant. L’école est souvent mise en cause car ne s’adresse pas à tous. Il est considéré que seuls les enfants issus d’un « milieu équilibré » sont en mesure de suivre correctement.

Le dernier point de cette approche du groupe social d’appartenance des maîtres E concerne la formation. Les échanges autour des pratiques sont des éléments estimés formateurs et enrichissants au quotidien, même si la théorie et la prise de recul ne sont pas rejetées. Enfin, une formation dispensée par des personnes non enseignantes est reconnue comme positive, à l’unanimité.

Pour conclure cette approche de la définition du groupe social d’appartenance des maîtres E, l’analyse des entretiens révèle des enseignants heureux de leur position professionnelle et aimant leur métier. Le secteur de l’A.I.S. leur convient, ils y sont entrés un jour par hasard et y restent volontairement. Un certain confort du métier est souvent reconnu, comme les faibles effectifs, par exemple. Une bonne connaissance de l’enfant, de sa psychologie et de sa façon d’apprendre est avancée. Des dysfonctionnements sont gênants pour la pratique quotidienne mais peu de solutions sont proposées pour voir évoluer le fonctionnement actuel.

La mission des maîtres E, même si certaines variantes apparaissent, tourne autour de la notion d’aide. Celle-ci s’oriente en priorité vers les enfants mais peut également concerner les parents d’élèves et les enseignants.

Les maîtres E avancent une différence professionnelle et se mettent à part dans la profession d’enseignant. L’analyse des corpus fait ressortir le fait que les maîtres E parlent beaucoup des autres, critiquent facilement les maîtres généralistes mais ne se remettent que très peu en cause. La différence est installée et contribue à renforcer l’impression que l’on commence à se faire de la représentation sociale au niveau des relations : si conflits il y a, il est fort possible qu’ils soient générés par l’attitude et les pensées des maîtres E eux-mêmes.

Le tableau ci-après présente les éléments constitutifs de l’identité du groupe social d’appartenance.

Éléments constitutifs de l’identité du groupe social d’appartenance.
Éléments constitutifs de l’identité du groupe social d’appartenance.