1.3. Le regard des uns et des autres sur l’élève aidé

Par les deux paragraphes précédents, nous observons comment les maîtres généralistes et les maîtres E se définissent. Deux groupes sociaux d’appartenance se dégagent. Voyons d’abord comment les maîtres généralistes considèrent l’enfant en difficulté et l’aide spécialisée à l’école, pour ensuite nous intéresser aux maîtres E.

Dans les entretiens, six questions nous ont permis de recueillir et de traiter des informations sur le regard porté par les maîtres généralistes sur l’enfant aidé à l’école.

Sur la totalité des personnes interrogées, peu d’entre elles pensent que tous les élèves peuvent bénéficier d’une aide spécialisée. Les enfants « en difficulté d’apprentissage et faibles » sont accueillis par le maître E. La moitié des personnes considère qu’il n’existe pas de « profil type d’élèves pouvant bénéficier de l’aide spécialisée ». Quand il est mentionné comme particulier, ce profil est déterminé par un milieu familial et social peu porteur, où des difficultés de tous ordres ne permettent pas d’accorder à la scolarité l’importance qu’elle demande. Le milieu est jugé comme pouvant engendrer des difficultés à l’école. Les enseignants généralistes n’ont pas une image préétablie de l’élève en difficulté. Quand celui-ci est décrit comme particulier, les propos sont très relatifs, un portrait type n’est pas dressé. En revanche, la notion d’enfant en difficulté est davantage ressentie, la personne est considérée dans sa globalité. Le rapport à la norme est plusieurs fois évoqué comme caractérisant les enfants pouvant avoir besoin d’une aide spécialisée. Les notions de programme, de compétences d’une classe d’âge sont sous-jacentes.

L’aide spécialisée n’est pas considérée comme un élément significatif dans la scolarité, l’élève n’est pas marqué par le passage au réseau. C’est le côté positif qui est avancé : l’aide est considérée comme une chance.

L’élève aidé n’a pas le même traitement que les autres en classe. Si ses chances de réussir à l’école sont évaluées comme identiques à celles des élèves ne bénéficiant pas d’aide spécialisée, le regard que lui porte le maître généraliste est particulier, l’attention plus soutenue, il est considéré comme fragile. Le milieu familial est mentionné comme influant sur la scolarité de l’enfant. Dans ce cas, ce n’est pas l’élève aidé qui va bénéficier d’un regard particulier de la part du maître, c’est l’enfant qui n’est pas suivi à la maison.

Selon les maîtres généralistes, sans dégager de caractéristiques très précises, l’aide scolaire spécialisée est plus particulièrement réservée aux enfants en difficulté, ceux qui sont lents et qui ont besoin d’une attention particulière. Une attention que les maîtres généralistes ont en classe à l’égard des enfants accueillis au réseau. S’il n’existe pas de profil type d’enfant en difficulté et si le passage en aide spécialisée n’est pas significatif dans la scolarité, le milieu familial est considéré tout de même souvent comme influant.

Intéressons-nous maintenant au regard des maîtres E. Le deuxième entretien auquel ils répondent comporte trois questions sur les représentations de l’enfant en difficulté.

  • Quels élèves peuvent bénéficier d’une aide spécialisée ?
  • Pensez-vous qu’il existe un profil type d’élève bénéficiant de l’aide spécialisée ?
  • Pensez-vous que l’élève qui a bénéficié d’une aide spécialisée à un moment ou à un autre de sa scolarité est étiqueté ?

L’analyse des réponses ne nous permet pas de définir un premier profil de ces élèves. Trois questions ne peuvent, à elles seules, permettre de dégager les constituants d’une représentation sociale. Nous attendons beaucoup de la suite de l’analyse structurale.

Nous obtenons une grande diversité de réponses. Nous ne retenons que quelques points caractéristiques.

Très peu de maîtres E considèrent que « tous » les élèves peuvent avoir besoin d’eux un jour ou l’autre, sans distinction des difficultés. Aucun profil type ne peut être présenté, compte tenu du nombre important de réponses différentes. Il semble qu’il n’existe pas d’unité à ce sujet dans la représentation sociale des maîtres E.

Il en va de même pour le marquage que l’élève aidé peut véhiculer. Là encore, les réponses obtenues ne sont pas significatives. On peut penser que les personnes sont influencées par les lieux d’exercice et les situations rencontrées. La durée de l’aide renforce l’effet de stigmatisation : si celle-ci est courte, alors elle est considérée comme normale, si elle dure plus longtemps (plusieurs années), alors elle a un effet stigmatisant.

Maintenant pratiquée une première approche des deux groupes sociaux d’appartenance, comparons leurs pensées afin de continuer à émettre des hypothèses quant à l’incidence de divergences sur l’élève aidé.