3.3. Une collaboration souhaitée mais difficile

L’analyse des corpus du groupe social « enseignants généralistes » révèle qu’un fort souhait de travail commun émerge. Ce travail d’équipe est considéré de deux façons : il représente un avantage quand il existe et un inconvénient lorsqu’il ne se pratique pas. Les membres du groupe sont d’accord sur sa nécessité. Malgré cette dernière remarque, il est déploré qu’il ne soit pas observable sur le terrain. Peu de personnes, nous l’avons déjà dit, se mobilisent pour le mettre en place. On s’interroge alors sur sa faible observation sur le terrain qui se limite à quelques échanges entre une poignée de collègues d’un même cycle. Les enseignants du premier degré sont prêts pour penser leur travail de façon collective mais ne le mettent pas encore en pratique. Cependant, parmi les jeunes enseignants, ceux qui débutent dans la profession, on observe plus fréquemment des activités partagées (échanges de service, décloisonnement, spécialisation dans une matière). Ces échanges restent limités car les débutants ne forment pas l’ensemble des membres d’une équipe. Il est intéressant de voir comment la profession évolue et il nous est d’ores et déjà possible d’imaginer le profil qu’elle prendra dans quelques années.

Le texte régissant les R.A.S.E.D. – la circulaire 90.082 du 9 avril 1990 – stipule que le travail d’aide doit se penser en équipe et qu’un projet d’aide individualisé doit être rédigé par les enseignants ayant la charge de l’élève : maître généraliste et maître E. Or, ce travail de rédaction, si l’on se tourne cette fois du côté du terrain et des entretiens, est effectué par le maître E seul, et, dans le meilleur des cas, proposé à l’enseignant généraliste une fois rédigé. Cette action d’équipe semble difficile à mettre en place, les enseignants généralistes la considèrent comme une surcharge. Dans la suite de notre travail, nous observons ce point comme pouvant générer des conflits. Le cloisonnement des tâches est bien défini : si le maître E a la charge d’un élève, c’est tout le travail gravitant autour de l’aide qui lui incombe. Il n’est pas facile de définir clairement où s’arrête l’action du maître généraliste afin qu’il n’empiète pas sur les compétences du maître E. Afin d’assurer une cohérence entre les actions menées en classes et celles du réseau, la collaboration est essentielle et sert l’élève aidé.

Le travail d’équipe est reconnu comme difficile au sein d’un même groupe, s’il doit se faire entre les membres de deux groupes différents, il l’est davantage. D’autres éléments entrent alors en jeu : l’observation des différences de pratiques des uns et des autres – la responsabilité des actions éducatives et pédagogiques n’étant pas commune à tous les partenaires –, le cloisonnement des tâches, les différences de représentations sur le rôle et la pratique de l’aide scolaire, font que l’enfant est au cœur du conflit. Inconsciemment, celui-ci sera rendu responsable de ses difficultés d’apprentissage et, de par son innocence, n’est pas le médiateur entre les différents partenaires. Il est récepteur, voire catalyseur, des tensions de chacun des membres des deux groupes.

Nous entrevoyons comment des représentations divergentes et des relations conflictuelles desservent l’élève aidé. Nous continuons nos investigations dans ce sens, afin de vérifier si ces relations ne contribuent pas au glissement de la difficulté d’apprentissage à celle d’échec scolaire. L’enfant devient une victime, il est l’illustration des reproches proférés : c’est la capacité à agir sur lui qui va être mise en cause dans les deux parties, chacun se sentant plus compétent que l’autre.

Revenons sur le désir du maître généraliste à travailler en collaboration avec le maître E. Les entretiens montrent la difficile réalité de cette collaboration de par le fait que les maîtres spécialisés mettent en avant leurs spécificités professionnelles. La collaboration est considérée comme un « service » que les maîtres généralistes rendent aux maîtres E, ces derniers attendant des informations sans pour autant en donner de leur côté. L’échange, nous l’avons déjà dit, est à sens unique. Les maîtres E se donnent le droit de juger le travail de leurs collègues généralistes et prodiguent également des conseils. Certains déplorent le fait que les maîtres généralistes « résistent » en ne suivant pas ces recommandations. Une hiérarchie de compétences s’installe donc, faisant naître des conflits. L’élève peut, là encore, être pris comme cible et subir les influences négatives des différences de points de vue.

Voyons maintenant comment les tensions sont ressenties par les membres des deux populations.