Les définitions rencontrées et les différents auteurs consultés usent tantôt du mot profession et tantôt du mot métier sans distinction de concepts, un mélange confus est observé. Nous ne pouvons nous appuyer sur ces définitions tant elles sont floues et mal cernées : « souvent les deux termes sont employés sans discrimination » 193 ; « on peut cependant retenir que le terme de profession désigne un métier présentant un certain prestige. » 194 . Quand les deux mots sont cités en opposition, le métier « correspond à une activité manuelle et la profession à une activité intellectuelle » 195 , cela apparaît aujourd’hui comme réducteur et quelque peu péjoratif. Si ces représentations sont définies ainsi pendant longtemps, elles sont actuellement trop simplistes de par l’évolution des concepts et de la société dans son ensemble. Nous avons besoin de plus de précisions pour notre recherche et nous ne nous contentons pas de ces concepts obsolètes. Citons tout de même deux définitions récentes qui nous paraissent plus valides, celle de Claude Dubar, d’abord : « une profession divise les tâches : les métiers, ce que l’un ne peut pas faire, l’autre le peut par une formation spécifique » 196 . Celle d’Alain Desrosières et Laurent Thevenot, ensuite : « profession : capacité professionnelle sanctionnée par un diplôme, métier : expérience professionnelle et connaissance de terrain » 197 .
Avant d’entrer au cœur de la définition, faisons un petit détour nécessaire par l’histoire.
C’est au Moyen-âge que les termes de métier et de profession apparaissent. Le métier est apparenté à l’art, c’est-à-dire une activité manuelle noble et productive. C’est souvent dans cette direction que s’orientent les définitions actuelles. La profession est davantage intellectuelle. Les différents métiers se réunissent en guildes. Ces dernières garantissent la protection de ses membres. Une non-adhésion à la guilde entraîne une déconsidération et une non-protection de l’individu. Nous voyons, plus avant, que cette notion de guilde garante d’un savoir-faire est toujours active. Plus récemment, l’idéologie marxiste scinde radicalement les deux concepts : « d’un côté les membres de la profession, de l’autre les travailleurs de l’industrie : les ouvriers » 198 . Jean-Michel Chapoulie 199 conserve la dimension marxiste dans sa définition. Pour lui, l’appartenance à une profession confère à l’individu une dimension de pouvoir. Elle permet la conservation du monopole de sa catégorie sociale élevée sur des catégories jugées inférieures. Nous n’allons pas plus avant dans l’étude historique des termes mais nous nous appuyons sur ces origines pour adapter les définitions à la recherche.
Le métier renferme une idée de production et d’action sur la matière. La profession revêt une dimension sociale regroupant l’ensemble des personnes d’une catégorie socioprofessionnelle ayant des intérêts communs. Dans le cas présent, nous parlons de profession d’enseignant et de métier d’instituteur et de professeur des écoles. Nous nous entendons avec les définitions consultées pour dire que la profession correspond à un état, une situation, et fait référence à l’appartenance à un corps.
Nous nous appuyons sur les référents théoriques de la sociologie et de la psychologie sans pour autant les distinguer. Notre recherche s’inscrivant dans le champ de la psychologie sociale, nous parlons de représentations sociales et de représentations professionnelles.
Opposé à métier, le terme de profession n’a pas de sens de production ou de fabrication. Il correspond à une position sociale, accompagnée d’une capacité de transmission des savoirs. Dans la langue administrative, la profession est un élément « de l’état civil d’une personne permettant son identification et son classement dans une catégorie sociale » 200 . Cette définition souligne aussi bien la dimension d’appartenance à un groupe, que la reconnaissance sociale. Par la profession, l’identité de la personne est définie, elle est reconnue par autrui, et permet de s’affirmer : « la profession exprime l’idée de la classe à laquelle on appartient par ses occupations et qui est en quelque sorte avancée publiquement comme telle » 201 .
Le mot profession ne développe pas de dimension lucrative, ce n’est pas par elle que l’on tire ses moyens d’existence, mais par le métier. Contrairement à ce dernier, la profession permet la singularisation et la distinction d’un ensemble d’individus en affirmant une position sociale. Les membres appartenant à une même profession s’identifient par des connaissances spécifiques qui permettent des interactions sociales entretenues hors du terrain d’exercice. Les savoirs avancés lors de ces interactions sont partagés : « les professionnels détiennent une spécificité technique associée à une composante identitaire » 202 .On parle « d’appartenance à un corps » assurant la reconnaissance et la position sociale. Raymond Bourdoncle attribue clairement cette dimension sociale à la profession : « ce qui fait une profession c’est la reconnaissance sociale que lui confère la société. C’est un processus politique de contrôle de marché et des conditions de travail, acquis par un groupe social à un moment historique déterminé » 203 .
La profession, dans un autre aspect, pose un cadre spécifique et limité. Les individus s’y reconnaissent et respectent les limites établies auxquelles ils adhèrent. Par une représentation sociale 204 fortement ancrée dans les mentalités, toute dérogation aux règles établies entraîne un rejet pur et simple de la personne. D’ailleurs, on « quitte la profession » quand on ne veut plus en respecter les fondements. Les membres « de la profession » s’autorisent un droit de contrôle et de sanction sur l’ensemble de leur groupe professionnel, il est régi par des règles strictes. Ce point est confirmé par le modèle théorique de l’identité professionnelle de Jean-Michel Chapoulie 205 qui insiste sur l’éthique de la profession. Celle-ci nécessite l’acceptation du code réglant l’exercice de l’activité professionnelle. Les membres de la profession sont les seuls compétents pour assurer un « contrôle technique » des activités exercées par un des leurs. La notion de guilde réapparaît ici. « Quelqu’un qui fait preuve de professionnalisme, c’est quelqu’un qui respecte dans sa pratique les normes établies par la profession » 206 .
Pour résumer, disons que la profession revêt un caractère social à double sens. Le premier, correspond à la personne qui se présente comme telle (et qui est perçue ainsi par la société) en revendiquant l’appartenance à un corps ; le second, concerne le regard de la société porté sur la personne. La profession est constituée d’une « communauté réelle des membres partageant des « identités » et des « intérêts » spécifiques » 207 .
Après avoir défini la profession dans sa dimension sociale, présentons le métier dans sa dimension productive.
Au regard des différentes définitions consultées, le métier possède une dimension de productivité, d’action sur la matière en la transformant, de reproduction de gestes. Il se caractérise par une formation spécifique et par l’acquisition de savoir-faire de haut niveau de fonctionnalité. Ce savoir-faire permet l’affinement d’une pratique tout au long de la carrière, et permet à l’individu de montrer la maîtrise de son « art ». Nous rejoignons ainsi la définition du mot métier telle qu’elle est donnée dès le Moyen-âge. Michèle Descolonges conserve la dimension « d’exercice de l’art : c’est un point commun à tous les métiers, que ceux-ci soient exercés en entreprise, en libéral ou ailleurs » 208 .
Dans un métier, sont mises en jeu des compétences multiples quel que soit leur niveau (« de base » ou compétences élevées, notions que nous développons ci-après). Ces compétences maîtrisées sont acquises à la suite d’une formation initiale affinée par la pratique. « Le métier se définit par une compétence techniquement et scientifiquement fondée » 209 . Si ces actions sont très différentes d’un individu à l’autre, l’objectif à atteindre est identique. On ne peut, dans le cas de la fonctionnalité du métier, parler de représentations professionnelles, ce dernier étant considéré dans sa dimension productive ; nous empruntons à Jean-François Blin, le terme de « représentations fonctionnelles » 210 . Elles ont la même structure que les représentations sociales et les représentations professionnelles : un noyau central (l’objectif à atteindre, c’est à dire une action de transformation) et des éléments périphériques permettant une personnalisation des savoir-faire fonctionnels. Ces représentations fonctionnelles possèdent un référentiel commun appartenant au noyau central : le langage spécifique (ou encore « technique ») et les savoir-faire de base. Ce référentiel commun est constitué d’éléments partagés dans la dimension collective du métier. Il est décrit par Jean-François Blin 211 . Il comprend le langage spécifique mobilisé dans la situation de travail et les représentations fonctionnelles identiques ou différentes de celles des praticiens (dans ce cas, elles servent de modèle). Enfin, il regroupe l’ensemble des savoir-faire collectifs acquis au cours de l’expérience. Les représentations fonctionnelles permettent, d’une part, une représentation du travail à réaliser ; d’autre part, de l’effectuer réellement avec des techniques singulières.
Revenons sur les « compétences de base » et les « compétences expertes ». Les compétences de base sont celles acquises lors de la formation initiale, celles qu’il est nécessaire d’apprendre car elles ne peuvent être découvertes par empirisme ou alors au prix d’une perte de temps considérable. Les compétences expertes sont celles découlant de l’affinement des compétences de base et celles que l’on découvre au fil de la pratique. On peut parler d’une hiérarchie de compétences parmi les membres d’un métier. Plus on le pratique et plus, dans la normalité des choses, on tend vers l’expertise. On peut ainsi dire que les membres d’un même métier se reconnaissent et que les praticiens de longue date ont une influence et une action de formation sur les plus jeunes : la période d’apprentissage. Nous revenons à la notion de guilde du Moyen-âge.
L’apparition, l’existence et l’importance d’un métier à un moment donné, correspondent à une demande sociale. Il est nécessaire que l’on en ait besoin pour qu’il prenne alors une place appréciable et reconnue dans la société, de par sa fonctionnalité. La raréfaction de métiers dits « manuels » lors de ces deux dernières décennies, entraîne une demande forte, sans que les besoins soient couverts. Cela coïncide à un allongement des études secondaires et le fameux 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, ceci au détriment des formations courtes et professionnalisantes. L’apparition des baccalauréats professionnels tend à palier ce manque.
L’exercice du métier est une action sur la matière dans le but de la transformer. Facilement compréhensible dans le cas des métiers dits « manuels », cette transformation est plus difficilement concevable pour les métiers « intellectuels ». On peut dire, dans le cas du secteur tertiaire, où les métiers ont une vocation sociale ou humaine, que la transformation s’exerce au niveau de la personne. On agit sur elle pour la faire passer d’un état à un autre au moyen de savoir-faire maîtrisés par une « personne de métier ». Le métier, pour exister, nécessite une formation spécifique et répond à un besoin social, « il regroupe des personnes concernées qui définissent des tâches appelant des aptitudes spécifiques » 212 .
Il semble important de mettre en parallèle les deux termes de métier et de profession afin de distinguer respectivement leurs dimensions productive et sociale. Le tableau ci-après synthétise ces différences tout en permettant un positionnement.
La profession, dans son aspect fonctionnel cette fois, regroupe un ensemble de métiers aux tâches spécifiées. Chacun de ces métiers a ses représentations fonctionnelles singulières et permet d’effectuer des tâches qui lui sont attribuées et dont les autres n’ont pas la maîtrise. Cette répartition assure une action experte et appropriée. Il n’y a pas d’idée de sous-traitance ni de hiérarchie de valeurs dans les différents métiers. La singularité représente une maîtrise des pratiques requises pour agir. Appartenant à la même profession, des pratiques, des règles « structurent les rapports » 213 entre les différents métiers. Sans revêtir forcément un caractère hiérarchique, ces relations constituent des liens permettant à chacun de définir son rôle et sa tâche spécifique au service du même objectif.
Le regroupement des métiers au sein de la même profession permet à chacun, tout en se différenciant, de posséder un référentiel commun. Les valeurs, inhérentes à toutes les professions, font partie de ce référentiel. Par valeur, s’entend un certain idéal à atteindre ou plutôt un idéal vers lequel tend chaque membre de la profession. Ces valeurs sont garantes de l’intégrité des différents métiers d’une profession, elles dictent la conduite à suivre.
Illustrons nos propos en disant que la profession est un terme générique regroupant des métiers dont l’évocation du nom permet immédiatement l’identification de la personne.
Enfin, chaque métier a sa formation spécifique, ce qui confère à la personne le pratiquant, d’une part, le droit de l’exercer (droit attribué et reconnu par les membres de la profession) et, d’autre part, la possibilité de bien le faire, de par sa formation. Celle-ci s’adresse exclusivement au métier, alors que le référentiel de la profession correspond à une construction et à une appropriation progressives : la construction de l’identité professionnelle.
DAVAU M., COHEN M., LALLEMAND M. 1975. Dictionnaire du français vivant, Paris, Bordas.
BLIN J.-F. 1997. Représentations, pratiques et identités professionnelles, Paris, L’Harmattan, p. 48.
DUBAR C. 1996. La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles (2° éd. revue), Paris, Armand Colin, p. 132.
DUBAR C. 1996. Ibid, p. 157.
DESROSIERÈS A., THEVENOT L. 2000. Les catégories socio-professionnelles, Paris, La Découverte,
p. 40.
BOURDONCLE R. 1993. « La professionnalisation des enseignants : les limites d’un mythe », Revue française de pédagogie, 105, pp 83-119.
Cité par DUBAR C. 1996. Ibid, p. 140.
Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue du XIXème et XXème siècles. 1988 Paris, CNRS.
Dictionnaire Quillet de la langue française, 1963.
BLIN J.-F. 1997. Représentations, pratiques et identités professionnelles, Paris, L’Harmattan, p. 15.
BOURDONCLE R. 1993. « La professionnalisation des enseignants : les limites d’un mythe », Revue française de pédagogie, 105, pp 83-119.
Nous ne parlons pas encore de représentations professionnelles mais bien de représentations sociales, ce point concernant toutes les professions.
In DUBAR C. 1996. La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles (2° éd. revue), Paris, Armand Colin, p. 140.
BOURDONCLE R. 1991. « La professionnalisation des enseignants », Revue française de pédagogie, 94,
pp 73-92.
DUBAR C. 1996. La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles (2° éd. revue), Paris, Armand Colin, p. 140.
DESCOLONGES M. 1996. Qu’est-ce qu’un métier ?, Paris, PUF, p. 7.
DUBAR C. 1996. La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles (2° éd. revue), Paris, Armand Colin, p. 140.
BLIN J.-F. 1997. Représentations, pratiques et identités professionnelles, Paris, L’Harmattan.
BLIN J.-F. 1997. Ibid, p. 53.
DESCOLONGES M. 1996. Qu’est-ce qu’un métier ?, Paris, PUF, p. 15.
LALLEMENT M. 1995. Sociologie des relations professionnelles, Paris, La Découverte, p. 3.