2.2. La représentation du profil type d’élèves accueillis

Les enseignants généralistes interrogés considèrent, dans une majorité, que c’est au cycle deux que l’élève a le plus de chances de se sortir de la difficulté d’apprentissage. Au cycle trois, la situation est plus difficile. La stigmatisation, même si elle est involontaire, est présente. La difficulté d’apprentissage doit être traitée et réglée au cycle deux. Si elle ne l’est pas, l’élève bénéficie d’un autre regard de la part des enseignants. Cet élément est lié à la considération de la difficulté d’apprentissage et de l’échec scolaire : une prise en charge au niveau global de la personne est souhaitée par le maître généraliste, très tôt dans la scolarité de l’élève. Si c’est le cas, cette aide a plus de chance d’avoir une action positive et efficace. C’est davantage qu’une aide dans l’acquisition des savoirs et des compétences qui est attendue. Cette demande dépasse les compétences du maître E. Si cette aide est prodiguée au cycle deux, elle est donc moins nécessaire (et par là même, moins attendue) au cycle trois. L’échec commence à s’installer au cycle trois et affecte l’ensemble de la personne. Cet élément de la représentation est bien ancré dans les mentalités et les pratiques. La démarche d’aide est moindre au cycle trois, car elle est considérée moins efficace. L’élève perd peu à peu la relation active avec les apprentissages. On observe un phénomène de décrochage. Les enseignants généralistes adoptent une attitude défaitiste car ils ne savent plus comment agir pour aider l’élève à s’en sortir. Se dessine, cette fois, au cycle trois, un profil type d’élèves prédisposés à l’échec scolaire. Ils obtiennent les résultats que l’on attend d’eux. Un certain fatalisme anime aussi bien les enseignants que les élèves et leurs parents : il en est ainsi, et peu d’actions sont envisagées ou mises en place pour ces élèves. On les conduit « sereinement » dans l’habitude de l’échec. C’est le rôle social du perdant.

Les croisements successifs dévoilent un paradoxe au niveau de deux éléments de la représentation sociale : la considération et le regard porté sur l’élève aidé, d’une part, et les attentes et les pratiques, d’autre part.

  • La considération et le regard : la population est partagée sur ce point avec une plus forte proportion d’enseignants qui pense avoir un regard identique sur tous leurs élèves. Au niveau de la personne, on ne fait pas de différence. En parlant d’élève aidé, le maître généraliste fait référence à l’enfant, ce n’est pas sa difficulté qui est d’abord avancée, elle ne génère pas de regard négatif. Ce positionnement permet à l’élève d’être avant tout considéré dans une intégrité. Sa difficulté ne le stigmatise pas.
  • Les attentes et les pratiques : la pédagogie mise en place pour les élèves aidés est différenciée. La difficulté est prise en compte au niveau du travail, on demande autre chose à ces élèves. C’est dans les pratiques quotidiennes que l’on fait une différence. Ce point confirme le précédent : c’est l’élève aidé qui bénéficie d’une considération différente, pas l’enfant.

La différence est prise en compte sans qu’elle contribue à stigmatiser l’élève : on porte un autre regard sur lui, les attentes sont différentes. Cependant, la population est partagée sur ce point avec deux types de regards : un regard social (l’enfant) et un regard scolaire (l’élève et ses capacités). Le marquage est davantage scolaire que social : tous les élèves sont considérés de la même façon, mais les attentes, en matière de rendement, sont différentes. On porte une attention particulière à la difficulté d’apprentissage puisque les élèves, tout en ayant pour eux les mêmes exigences, bénéficient d’un regard singulier. Cette prise en compte entraîne une différenciation de la pédagogie et représente une cohérence entre les attentes et les pratiques chez la majeure partie des personnes interrogées.

Tableau 10 : considération et regard portés sur l’élève aidé.
Tableau 10 : considération et regard portés sur l’élève aidé.
Tableau 11 : attentes et pratiques.
Tableau 11 : attentes et pratiques.

Un paradoxe apparaît là où la considération et les attentes de résultats s’opposent. On pourrait s’attendre à ce que dans les pratiques, si le regard est différent et la pédagogie différenciée, les évaluations soient aussi différentes. Or, l’analyse des croisements montre que la majorité des personnes interrogées ne différencie pas les évaluations. L’étude qualitative nous apprend que les enseignants ont des attentes différentes mais considèrent les évaluations terminales comme la vérification des acquisitions par rapport à une norme établie. C’est le rapport à la norme qui est important, davantage que la position de l’élève sur une échelle des savoirs et des savoir-faire étudiés. L’évaluation, telle qu’elle est pratiquée, donne une position de l’élève dans sa classe d’âge et par rapport à un maximum de compétences que pourraient maîtriser cette classe d’âge. La différenciation n’est pas observée dans les évaluations, ce n’est pas la norme qui est attendue, mais plutôt une position à un moment donné par rapport à cette norme. La non-différenciation des évaluations n’est pas faite dans le but de marquer l’élève. A un moment déterminé, il est nécessaire, de par notre fonctionnement scolaire, de mesurer un écart à la norme. La pratique, confirmée par les entretiens, nous apprend que les enseignants se sentent responsables des difficultés scolaires de leurs élèves et surtout se sentent impuissants face à ces difficultés. Malgré leurs efforts et la différenciation pédagogique, ils n’obtiennent pas les résultats escomptés (à savoir une réduction de l’écart par rapport à la norme supérieure). Les résultats aux évaluations parlent d’eux-mêmes : c’est l’élève qui est responsable et l’enseignant déculpabilisé.

A l’issue de cette partie de l’analyse, nous pouvons dire que les maîtres généralistes font en sorte de limiter au maximum l’effet stigmatisant de la difficulté d’apprentissage. Ils souhaitent la voir se réduire au maximum au cycle deux, considérant que plus elle est traitée tardivement et plus elle sera installée dans la personnalité de l’enfant.

La représentation sociale s’enrichit des éléments suivants :

  • il existe un profil type d’élèves prédisposés à la difficulté d’apprentissage (noyau central) ;
    • les pratiques sont différenciées (élément périphérique) ;
    • le regard est identique (élément périphérique) ;
    • le regard est différent (élément périphérique) ;
    • l’élève de cycle trois est en échec scolaire (élément périphérique) ;
    • le marquage est scolaire, pas social (élément périphérique) ;
  • l’écart à la norme doit être mesuré (noyau central) ;
    • les évaluations sont identiques (élément périphérique).

La représentation sociale prend la forme suivante :

Des facteurs extérieurs à l’école sont responsables de la difficulté d’apprentissage et de l’échec scolaire. Un profil type est considéré, malgré le fait que tous les élèves puissent rencontrer des difficultés, certains semblent plus sujets que d’autres. Si l’existence d’un profil n’est pas admise par l’ensemble de la population, c’est pour deux raisons :

  • les enseignants sont fortement influencés par les représentations qu’ils ont de la famille et de l’élève dès son arrivée à l’école. Cette image, positive ou négative, colle à la peau de l’élève et influence l’action éducative. La fratrie joue le même rôle : on est surpris par la réussite d’un élève dont les aînés ont été en difficulté d’apprentissage, et, on n’accepte pas la difficulté d’un élève dont les aînés ont bien réussi. Ce type d’élève bénéficie alors d’un traitement tout particulier de la part des enseignants. Considérée d’une autre manière, tout est mis en œuvre pour que cette difficulté soit vite dépassée. Les représentations sur la famille ont une incidence aussi bien sur les pratiques pédagogiques que sur la scolarité de l’élève ;
  • la catégorie socioprofessionnelle des parents conditionne l’action des enseignants. Il est conventionnellement établi de considérer les compétences scolaires des élèves selon la CSP des parents. Même si l’action éducative est identique pour tous les élèves, ils (les enseignants) sont surpris par les difficultés d’élèves appartenant à une CSP élevée alors que la difficulté d’un élève appartenant à une CSP plus défavorisée n’étonne pas.

Le fait que davantage d’enseignants considèrent qu’il n’existe pas de profil type mais signalent des enfants par rapport à leurs difficultés globales, révèle qu’il existe une différence entre la représentation idéale et les conduites réellement observées. Un profil type d’élèves prédisposés à être en difficulté d’apprentissage existe, mais ceci n’est pas admis dans les mentalités.

Tableau 12 : existence d’un profil type.
Tableau 12 : existence d’un profil type.

Les enseignants généralistes, nous l’avons vu, sont soucieux de la réussite de tous leurs élèves. Ils ont du mal à admettre qu’ils sont parfois « déficients » et que leurs efforts se heurtent à un écueil qu’ils ne maîtrisent pas. Les difficultés de certains élèves éveillent en eux un sentiment d’impuissance qui les met face à leur propre échec. Un profil type d’élèves, non pas prédisposés cette fois, mais « rencontrant » des difficultés d’apprentissage est dressé. De cette façon, le maître généraliste peut admettre, pour se déculpabiliser, qu’il est impuissant et que les difficultés de l’élève ne relèvent pas de sa compétence.

L’élément « profil » du noyau central s’enrichit d’un élément périphérique :

➔ le milieu social, la fratrie, la CSP, sont marquants.

La représentation sociale prend la forme suivante :