3.2. La difficulté d’apprentissage, l’échec scolaire et les profils types d’élèves aidés

Les deux populations distinguent nettement la difficulté d’apprentissage de l’échec scolaire, ce point est présent dans les deux représentations sociales. La difficulté scolaire et la difficulté globale sont également distinguées. Ces différentes approches permettent de mieux définir les élèves auxquels les maîtres généralistes et les maîtres E ont affaire. Ces éléments sont autant d’indicateurs supplémentaires pour comprendre le glissement de la position de difficulté d’apprentissage à la situation d’échec scolaire par le jeu des représentations sociales divergentes, et, ainsi valider notre hypothèse de recherche.

Élément du noyau central
Élément du noyau central

L’élément du noyau central est commun, en revanche, les éléments périphériques, au même nombre dans les deux populations, diffèrent. Pour les maîtres généralistes, les difficultés d’apprentissage et l’échec scolaire sont dus à des éléments externes à l’école, ce qui n’apparaît pas chez les maîtres E. Un élément périphérique est caractéristique des maîtres E, il s’agit de la différence faite entre la difficulté scolaire et la difficulté globale. Chez les maîtres généralistes, ce dernier point est un élément du noyau central, le paradoxe précédemment énoncé est confirmé. La difficulté d’apprentissage est considérée comme moins importante par les maîtres généralistes, ou, du moins, ne nécessite pas forcément un signalement au maître E. Cependant, bien que ce soit un élément du noyau central chez les maîtres généralistes, ces derniers ne distinguent pas toujours, dans les signalements, la difficulté scolaire de la difficulté globale. Nous apportons un élément de réponse en rappelant qu’il y a une différence entre la représentation idéale et les conduites effectives : il y a un clivage entre les pensées et les actions.

Revenons sur la distinction faite entre difficulté scolaire et difficulté globale. Les maîtres généralistes signalent davantage d’enfants en difficulté globale que d’élèves pour une difficulté scolaire « simple ». Les maîtres E, quant à eux, considèrent accueillir autant d’élèves en difficulté scolaire que d’enfants en difficulté globale. Il y a une différence par rapport au public signalé : les maîtres généralistes pointent des élèves en difficulté globale, et les maîtres E accueillent autant d’élèves en difficulté globale qu’en difficulté scolaire. Une partie des élèves, signalés comme en difficulté globale, ne sont pas pris en considération par le maître E, ne relevant pas de sa compétence. Le maître généraliste est renvoyé, seul, à sa difficulté. Cette réponse du maître E est d’importance dans le glissement de la difficulté vers l’échec. Que va-t-il se passer en classe ? Le maître généraliste est renvoyé aux limites de sa pédagogie, de ses possibilités d’action ou d’individualisation des apprentissages. Il se sent impuissant face à la difficulté de l’élève tout en reprochant au maître E de ne pas prendre en considération les problèmes (la difficulté de l’élève et celle de l’enseignant). Un sentiment de solitude et d’abandon s’installe. La situation se reporte sur l’élève qui bénéficie, quant à lui, d’un renoncement pédagogique et affectif de la part du maître généraliste. Si ce dernier est en demande d’aide pour lui-même, c’est par le biais de l’élève qu’il l’exprime. Nous constatons, sur le terrain, que les souhaits de formation sont nombreux, mais que les demandes d’aide auprès des pairs sont rares. Comme si le sentiment d’impuissance face à une situation pédagogique particulière était de l’ordre de la honte.

De plus, la difficulté globale est considérée par les maîtres généralistes comme plus importante et plus grave que la difficulté scolaire. Cette réponse comportementale de l’élève face à l’école et à ses exigences entraîne les signalements. Une rivalité s’installe dans les équipes et génère une représentation négative du maître E par le maître généraliste. De par le fait que toutes les demandes ne sont pas prises en considération, apparaît ici le « pouvoir » du maître E. Il a la possibilité de ne pas tenir compte de la demande du maître généraliste, mettant alors en avant sa hiérarchie de compétence, une prédominance sur le maître généraliste, qui, lui, n’a pas la possibilité de choisir ses élèves. Cette supériorité est mal ressentie par le maître généraliste et installe une distance et des tensions préjudiciables à l’élève aidé. Le maître de la classe entre en conflit avec lui-même puisqu’il y a une différence entre les conduites et la représentation idéale : il se sent impuissant, ne peut agir, alors que la situation parfaite voudrait qu’il le fasse. La réaction de l’élève ne se fait pas attendre : il répond comportementalement et pédagogiquement à l’image que l’on se fait de lui.

Le maître généraliste signale la difficulté d’un élève quelle qu’elle soit, à partir du moment où elle entraîne des difficultés d’apprentissage. Il considère que plus le traitement est précoce, et plus l’élève a de chances de s’en sortir. Rappelons que lors de l’analyse des tableaux croisés, nous constatons que le maître généraliste pense que la difficulté d’apprentissage doit être traitée au plus tôt, dès le cycle deux. Au cycle trois cette difficulté devient stigmatisante, l’échec est proche. Le maître E, ne considère, de par sa spécificité, que l’aspect scolaire de la difficulté. Il ne prend pas toujours en charge un enfant, propose plutôt une aide externe à l’école. Cette démarche réveille encore une fois, chez le maître généraliste, le sentiment de solitude et d’abandon. Il propose à l’élève, uniquement des activités dans lesquelles il est performant, et peu d’apprentissages nouveaux sont proposés. Cette démarche déculpabilise l’enseignant qui n’est plus face à son impuissance pédagogique. L’élève obtient des résultats satisfaisants, entretient des connaissances et des savoir-faire, toujours dans les mêmes domaines. Le maître généraliste ne se sent plus « incompétent ».

L’existence d’un « profil type » est stable dans les deux populations. Quelques nuances apparaissent chez le maître E qui prend peu en compte la dimension sociale de l’individu. Le regard porté sur l’élève en difficulté est de deux ordres.

Pour les maîtres généralistes, l’aspect social est pris en compte. Les facteurs extérieurs à l’école sont des indicateurs importants : la CSP des parents et la fratrie permettent au maître généraliste de classer l’élève dans des catégories : il est susceptible de rencontrer ou non des difficultés. Le regard est différent. L’attente par rapport aux familles est également apparent chez le maître généraliste : il est plus exigeant avec une famille à la CSP élevée et demande à une famille « moins aisée » d’avoir confiance en l’école. Il s’intéresse alors d’une autre façon à la difficulté d’un élève issu de ces familles.

Les deux populations observent la dimension sociale de l’enfant comme une « prédisposition » aux difficultés. Ce point est plus nuancé chez le maître E. Pour lui, l’élève n’arrive pas pré-étiqueté à l’école et ne possède pas tous les stigmates de la difficulté d’apprentissage. Cependant, il constate une similitude dans les difficultés et les profils sociaux, il prédéfinit les élèves qui vont avoir besoin de son aide. Ce point peut être cause de tensions incidentes sur l’élève. Le maître E sait, par avance, quels élèves sont signalés, laissant supposer que la difficulté est anticipée ou provoquée très tôt dans l’année. Il porte alors une attention plus particulière sur certains. Dès ce moment, l’élève est étiqueté, il est victime du regard singulier qu’on lui porte. Si le maître généraliste demande une aide et que celle-ci n’est pas apportée, alors l’élève subit les désaccords des membres des deux populations.

Le maître E retient la manifestation de la difficulté comme un symptôme, une réponse comportementale à l’école, alors que le maître généraliste attache davantage d’importance à l’aspect social de la difficulté, classant l’élève dans des catégories.

De l’ensemble des éléments centraux de la représentation sociale des maîtres généralistes, celui concernant le « profil type » comporte le plus d’éléments périphériques. La personnalisation est importante et des points de vue différents apparaissent, sans pour autant mettre en péril la structure interne.

Les entretiens, les questionnaires et les différentes analyses, constatent que le maître E considère l’existence d’un profil type d’élèves susceptibles de rencontrer des difficultés d’apprentissage. Sa spécificité fait qu’il « sélectionne » les élèves qu’il accueille, son action ne s’adresse qu’à une catégorie de personnes, confirmant l’existence d’un profil.