3.3. Des tensions latentes ou réelles

Cet élément du noyau central est celui ayant le plus d’éléments périphériques dans la représentation sociale des maîtres E (sept) et le moins chez les maîtres généralistes (trois). De ce fait, il a peu d’importance pour les maîtres généralistes.

Les deux populations portent des regards différents sur l’élément « tensions ». Les maîtres E les ressentent, alors que les maîtres généralistes, sans nier leur existence et leur incidence sur l’enfant aidé, expriment, dans leur grande majorité, ne pas les percevoir. L’une et l’autre population, malgré cette existence de tensions, ne trouvent pas difficile le travail en équipe, même si des désaccords quant aux modes de prise en charge émergent. Le glissement n’est pas à attribuer à une difficulté de travail commun, quand celui-ci est engagé, mais c’est quand il ne l’est pas, que la collaboration est jugée difficile. C’est dans cette situation que les tensions sont incidentes.

Une contradiction apparaît à ce moment de notre étude. Lors de l’analyse des entretiens, nous avons vu que les tensions ont une incidence sur la scolarité future de l’élève et constituent un obstacle à sa bonne progression. Nous voyons ici que les croisements minimisent cette incidence (qui est même un élément absent dans la représentation des maîtres E). Il nous faut aller plus avant dans l’analyse de ce point de la représentation sociale.

Plusieurs facteurs entrant en jeu dans la responsabilité attribuée des tensions sont relevés. Ces indicateurs infirment la contradiction évoquée dans le paragraphe précédent.

  • La différence de représentation entre les niveaux de difficulté d’apprentissage peut être responsable des tensions. Nous sommes en présence de deux catégories de personnes exerçant des métiers différents au sein de la même profession. Chacun de ces métiers possède ses critères propres, ses pratiques propres, et, bien entendu, ses représentations sociales propres.
  • Le point précédent est à mettre en relation avec les représentations divergentes de l’accueil des élèves : accueil par rapport à des difficultés scolaires ou par rapport à des difficultés globales. La considération de la mission entre ici en jeu : les maîtres E accueillent des élèves présentant des difficultés purement scolaires (même si l’enfant est en difficulté globale) alors que les maîtres généralistes souhaitent une prise en charge de la difficulté globale. Ces derniers estiment être impuissants face à la difficulté en tout genre, leurs démarches pédagogiques concernent des élèves d’un « bon niveau », qui comprennent tout et plutôt rapidement, sont en mesure d’assimiler l’essentiel des points du programme. Un jugement et un classement de type déficitaire sont portés sur les élèves qui ne parviennent pas à s’approprier l’ensemble de ces compétences, ils sont stigmatisés. D’autre part, les tensions apparaissent suite au signalement par le maître généraliste d’enfants en difficulté globale. Ces derniers ne concernent pas le maître E qui ressent une incompréhension dans les signalements et un refus de reconnaissance de sa tâche et de sa mission au sein de l’école. Dans la définition du groupe social d’appartenance, nous avons vu que le maître E est souvent responsable des tensions car s’impose comme référence suprême. Ses paroles doivent être attestées et respectées par le maître généraliste qui est jugé « inférieur ». L’incompréhension et le sentiment d’impossibilité de travail partagé apparaissent. Ce sont les notions de difficulté d’apprentissage, du côté des maîtres E et de difficulté globale, du côté des maîtres généralistes, qui sont responsables des tensions. L’élève est au cœur des désaccords quant aux pratiques et actions pédagogiques possibles. La « clarté cognitive » recherchée dans la situation d’aide se transforme en « confusion cognitive » car on tente de faire acquérir à l’élève autant de compétences que les pairs de sa classe d’âge. Le maître généraliste renforce les étayages scolaires et le maître E, de par sa position de supériorité de connaissances, veut, coûte que coûte, au détriment de l’élève cette fois, montrer l’efficacité de son action par ses pratiques différentes qu’il met en avant.
  • Les matières représentatives évoquées précédemment sont également responsables des tensions. Nous le savons, l’action du maître E ne concerne qu’une seule matière ou bien il travaille sur la transversalité (aide méthodologique). Le maître généraliste évoque alors des difficultés de type instrumental dans chaque matière. Le maître E travaille, non pas sur une aide au niveau des instruments, c’est-à-dire sur l’acquisition de compétences instrumentales et mécaniques, mais sur l’aide à la compréhension et à la prise de conscience par l’élève de ses propres difficultés. Ensuite, s’engage un travail sur l’amélioration des compétences.
  • Les maîtres généralistes considèrent le maître E comme un enseignant. La différence de statut (pas de pratiques, nous l’avons déjà vu) entraîne des tensions incidentes et rejoint notre hypothèse : deux types d’enseignants travaillent ensemble, c’est ici que les différences se font ressentir. Ce point de la représentation n’est pas stable. Pour les maîtres généralistes, l’existence de tensions n’est pas un élément fondamental. Sans nier leur existence, ils ne les ressentent pas et les jugent moins incidentes sur les pratiques quotidiennes. Les responsabilités sont partagées : les maîtres généralistes s’en sentent responsables au même titre que les maîtres E. Pour les maîtres généralistes il n’est pas fondamental de déterminer qui est responsable des tensions. Pour les maîtres E, les choses sont différentes, ils revendiquent une différence. Dans les pratiques, on observe un travail en parallèle et non pas en complémentarité. C’est dans cette voie que nous recherchons une des causes du glissement.

Ces quatre points nous amène à formuler la conclusion suivante : lors des entretiens, il ressort que le travail en équipe est difficile et que des tensions existent. Ces éléments ne sont cependant pas très marqués dans la structure de la représentation sociale de chaque population. Il y a donc, encore une fois, un écart entre la représentation idéale et les conduites. Chacun voudrait que cela se passe au mieux et dans l’intérêt de l’élève. L’impossibilité d’un travail en équipe harmonieux est incidente.

Voyons maintenant comment la difficulté est repérée et comment elle est traitée.