3.5. Un glissement observé

Les deux populations distinguent très nettement la difficulté d’apprentissage de l’échec scolaire. Il n’y a donc pas de désaccord sur ce point-là de la représentation.

Nous avons analysé les différences pouvant avoir une incidence négative sur l’élève aidé par une comparaison de la structure des deux représentations sociales. Synthétisons, maintenant, tous les éléments générateurs de tensions entre les personnes et ayant une incidence sur l’élève aidé.

• Les tensions trouvent leur source dans la différence de travail. Les deux métiers ont des difficultés à se côtoyer et à fonctionner ensemble. Ce sont les modes d’intervention qui entraînent des tensions. Le maître E se considère, et est considéré, comme un enseignant, mais différent tout de même ;
• les tensions sont générées par le fait que pour le même statut administratif, le travail est différent, les pratiques sont différentes, les salaires sont différents et la formation est différente. Quand l’enfant bénéficie d’une aide à l’extérieur de l’école, n’apparaissent pas de tensions entre l’enseignant généraliste et le thérapeute quel qu’il soit. Une rivalité au niveau des connaissances se met en place ;
• le maître E a un pouvoir effectif sur le maître généraliste : il n’a pas d’obligation d’accueil de tous les élèves et a la possibilité de refuser une prise en charge de par sa spécificité, il n’est plus professeur des écoles polyvalent. Allant dans le même sens, le maître E n’est pas prêt à collaborer avec le maître généraliste par la mise en avant trop importante de toutes les différences précitées. Le maître E revendique sa différence, pas le maître généraliste ;
• le maître généraliste ne reconnaît pas la vraie mission, celle définie par les textes, du maître E ;
• le pouvoir du maître E est effectif, on ne parle pas seulement de tensions entre personnes mais entre les personnes et l’institution, qui, en créant des spécialisations au sein du même corps professionnel, a créé les clivages et la catégorisation des personnels ;
• il existe un écart important dans le degré de considération de la difficulté d’apprentissage chez les deux populations qui ont leurs propres critères. Le maître généraliste intervient seul dans sa classe au niveau un de la prévention et le maître E n’y est pas associé ;
• la demande d’aide intervient trop tardivement aux yeux du maître E. Son action ne vise que l’élève et non l’enseignant qui a besoin d’être davantage guidé dans son action ;
• le maître E ne prend pas suffisamment en compte les demandes d’aide au niveau global, considérant qu’elles ne sont pas de son ressort. L’aide peut se pratiquer en dehors de l’école. Le maître généraliste, confronté au quotidien à la difficulté de l’élève – donc à sa propre difficulté – fait appel aux dispositifs existant dans l’école pour une aide immédiate qu’il n’obtient pas toujours. Cela éveille chez lui un sentiment de solitude et d’abandon ;
• il existe un clivage entre les demandes des maîtres généralistes et les réponses parfois apportées par les maîtres E qui ne prennent pas en compte la difficulté globale. La demande du maître généraliste concerne une aide au niveau des compétences instrumentales, le maître E apporte une aide au niveau des compétences transversales ;
• le maître E ne fait pas de compromis, les maîtres généralistes signalent des élèves en difficulté globale et souhaitent une prise en charge à ce niveau ;
• le maître généraliste étiquette les élèves dès leur arrivée à l’école puisqu’il prend en compte la fratrie et la CSP, la stigmatisation est immédiate. De son côté, le maître E ne tient pas compte de ces éléments figurant dans les signalements. Cependant, il reconnaît qu’une population fragile existe.

Tous ces éléments contribuent à la validation de l’hypothèse de départ et montrent les mécanismes entrant en jeu, dans les relations conflictuelles, ne permettant pas à l’élève de suivre une scolarité épanouissante. Ce ne sont que les conflits entre personnes qui sont responsables du glissement de la difficulté à l’échec. Plus aucune distance par rapport à ces querelles n’est prise, l’intérêt de l’élève devient tout à fait secondaire.

Arrivons maintenant à la dernière étape de notre analyse avec la vérification, par l’implication statistique entre variables, de la centralité annoncée des éléments. Une dernière validation de l’hypothèse est effectuée.