5.1. Du côté du terrain

Notre pratique de maître E ainsi que les entretiens, nous permettent de constater une connaissance partielle de l’adaptation et de l’intégration scolaire de la part des maîtres généralistes. La plupart connaît mal le fonctionnement des structures d’aide ou d’accueil, les démarches d’orientation, la formation des enseignants spécialisés. Les perceptions approximatives dans ces différents domaines ne permettent pas toujours d’apprécier les actions des maîtres spécialisés ­à leur juste valeur, leurs missions n’étant pas réellement connues. Celles-ci ne sont pas clairement exposées. De ce fait, il n’est pas forcément possible de mettre en place un travail concerté pour l’élève en difficulté.

Plusieurs maîtres généralistes, au cours des entretiens, déclarent ne pas savoir ce que le maître E fait avec les élèves, qu’ils ne connaissent pas vraiment son rôle. C’est un enseignant du réseau, et, par « culture d’établissement » ils n’entretiennent que des relations polies et lointaines avec cette personne « de passage ». Nous sommes donc satisfait d’avoir pu couvrir l’ensemble du territoire national avec nos questionnaires, car, ainsi, bien que nous soyons conscient que cela reste insuffisant, une première étape dans la réflexion est engagée.

Proposons maintenant des perspectives d’actions à mettre en place pour que les mentalités changent et qu’un travail plus efficace se mette en place pour l’élève aidé.

Les enseignants du premier degré sont inspectés tous les quatre ans, environ. Ces inspections sont individuelles, débouchent sur un rapport et une note, le tout restant confidentiel. Une inspection d’équipe, avec tous les membres concernés, longue, avec des groupes de travail et de réflexion, permettrait de voir les choses évoluer. Se retrouver tous ensemble lors d’un moment institutionnel est souvent apprécié, malgré l’image autoritaire que certains se font de la hiérarchie. Une inspection d’équipe pourrait faire naître un désir de travail concerté et autoriserait à chacun d’exprimer sa façon de voir les choses. Le maître E aurait l’occasion de présenter son rôle et son action ainsi que le public concerné par l’aide pédagogique. Une clarification du rôle de chacun permettrait de lever des incompréhensions. La présence d’un supérieur hiérarchique est nécessaire car nous rappelons que la majorité des enseignants le respecte et le considère comme garant des valeurs pédagogiques. Un temps de réflexion banalisé n’a pas le même impact sur les personnes concernées.

Lors des stages de formation continue, notre pratique, enrichie des entretiens, montrent que les modalités les plus formatrices sont les échanges entre pairs. C’est lors de ces échanges que les pratiques circulent, s’enrichissent, que des réseaux de partages se construisent. Pour ne pas douter de leurs pratiques, les enseignants du premier degré ont besoin d’être rassurés, de constater que l’on pense à peu près comme eux et ont besoin d’un cadre précis pour évoluer en toute confiance. Ces conditions requises, un travail d’équipe se met en place. La définition des groupes sociaux d’appartenance, montre que les enseignants du premier degré ne sont pas toujours à l’aise dans ce qu’ils font, doutent de l’efficacité de leurs actions. S’ils se reconnaissent dans leurs pairs, ils peuvent échanger sur leurs pratiques en toute confiance. Cette dernière remarque fait référence au nouveau mode de formation qui pose problème : les « anciens » instituteurs, qui ne sont pas passés par l’université, se dévalorisent.

Autre constat négatif qui pourrait trouver une solution heureuse : la place du maître E dans les classes au côté de son collègue généraliste. Par la comparaison des représentations sociales, nous voyons que le maître généraliste et le maître E ne mettent pas au même niveau la difficulté d’apprentissage. Pour les maîtres généralistes, celle-ci est traitée en classe, pour les maîtres E, il est parfois déjà tard quand ils reçoivent les élèves concernés. Si le maître E était accueilli dans les classes, en tant qu’observateur, il pourrait déceler des difficultés naissantes sur lesquelles il agirait plus efficacement que son collègue généraliste. Notre expérience et l’analyse des entretiens nous apprennent que ce n’est pas toujours chose aisée. Une telle démarche verrait disparaître un premier point de tension quant à la mise à l’écart du maître E dans le cadre du niveau un de la prévention. D’autre part, de la sorte, le travail d’équipe se mettrait en place naturellement sans que les choses aient besoin d’être définies et concertées au préalable.

Afin d’éviter la stigmatisation de l’élève, tout en renforçant le partenariat, le maître E pourrait intervenir, pour ses démarches spécifiques, dans la classe de l’élève. De cette façon, le « décalage » entre la classe et les actions d’aide, déploré par les maîtres généralistes, serait réduit. Généralement, le maître E accueille des petits groupes d’élèves dans une salle spécifique et aménagée pour l’aide. L’élève quitte sa classe d’origine, pendant un temps, pour y revenir la séance terminée. L’effet stigmatisant du changement de lieu géographique disparaîtrait si le maître E intervenait dans la classe de l’élève.

Les entretiens révèlent que les actions menées par le maître E pour les élèves en difficulté manquent de transparence et restent ignorées des maîtres généralistes. Pour lever le « mystère » qu’entretiennent les maîtres E, le projet de l’élève est rédigé conjointement et l’aide apportée par le maître E se pratique le plus possible dans la classe de l’élève. Ainsi, le « mystère » quant aux activités spécialisées, disparaît, et un réel travail partagé voit le jour.

Nous apprenons que le maître généraliste reproche essentiellement au maître E de ne pas prendre en compte la totalité des signalements, et, ainsi, de laisser en marge un certain nombre d’élèves. En fait, ce que le maître généraliste souhaite, nous l’avons vu lors de l’analyse structurale de la représentation sociale, c’est que le maître E prenne en charge les élèves avec lesquels il se sent démuni et pour qui son action pédagogique n’est pas efficiente. Ce regard du maître généraliste énonce que si des compromis sont faits d’un côté comme de l’autre, un travail partagé et efficace se met en place. Le maître généraliste se trouve en situation délicate, il a besoin de l’aide du maître E, qui, lui, se retranche derrière la barrière protectrice de sa spécificité avancée et ne communique pas au sujet de l’élève et des actions menées. C’est la situation « inconfortable » du maître généraliste qui ne permet pas à l’élève de progresser, ce dernier reste dans sa difficulté. Le « compromis » établit un équilibre. Si les entretiens montrent que le maître généraliste souhaite que davantage de ses demandes soient prises en compte, il doit admettre que le maître E ne peut cependant prendre en charge tous les élèves signalés. Il peut, néanmoins, prodiguer des conseils au maître généraliste, le soutenir dans ses démarches. Ainsi, si le maître généraliste se sent épaulé et entendu, le sentiment de solitude face à sa propre difficulté, se réduit.