5.2. Du côté de la formation

Certains éléments, développés dans ce paragraphe, prolongent ceux évoqués dans le paragraphe précédent.

Le maître généraliste se sent souvent responsable des difficultés d’apprentissage d’un élève, même si elles trouvent leurs sources ailleurs que dans la classe ou l’école. Il ne connaît pas l’origine des différentes formes de difficulté que peut rencontrer un élève, d’où la culpabilité. Les jeunes professeurs des écoles arrivent sur le terrain avec une maigre connaissance des causes des difficultés. Ils doutent de la qualité de leur travail et finissent par se rendre coupables. Comme nous l’avons vu, si les difficultés rencontrées par des élèves ne relèvent pas de l’action du maître E, l’enseignant généraliste éprouve un sentiment de solitude et d’abandon. Pour palier ce sentiment, la connaissance des différents troubles entraînant des difficultés scolaires, permet à l’enseignant généraliste de ne pas remettre en question son travail et d’envisager ainsi plus sereinement l’aide à apporter à l’élève, aussi pauvre soit-elle. Cette démarche a au moins pour mérite de ne pas laisser l’élève en difficulté à la marge, de le stigmatiser et de l’abandonner.

Autre point déficient au niveau de la formation initiale, il s’agit de la méconnaissance totale du secteur de l’AIS et de ses structures. Les jeunes enseignants interrogés sur les différents parcours possibles d’un élève, ne peuvent citer les démarches d’orientation vers les établissements spécialisés ou les enseignements adaptés. Encore évoquent-ils l’existence du réseau d’aides spécialisées, sans pour autant approfondir le rôle de ce dernier. Ainsi, si un élève présente des difficultés passagères ou durables et graves, le maître généraliste est bien démuni et n’intervient peut-être pas suffisamment rapidement ou judicieusement, par méconnaissance, et c’est l’élève même qui souffre de la situation.

Aussi bien les maîtres généralistes que les maîtres E rencontrés, souhaitent que la formation initiale insiste sur le réseau d’aides spécialisées, en définissant le rôle de chacun de ses membres. Le réseau devient ainsi un dispositif ressource dans l’école et l’équipe enseignante peut s’y référer, en cas de besoin. D’autre part, si le maître généraliste possède une bonne connaissance du fonctionnement du réseau, les tensions dues à des représentations erronées faiblissent. Peu nombreux sont les maîtres généralistes interrogés qui connaissent les différentes spécialisations du premier degré. Il en résulte, une « peur » de la difficulté d’apprentissage, des enseignements adaptés et par là même de leurs élèves. Les différentes options du CAPA-SH ne sont pas présentées lors de la formation initiale. Si elles l’étaient, elles permettraient, d’une part, de ne pas maintenir les enseignants dans un état d’ignorance préjudiciable, et, d’autre part, pourraient susciter des « vocations » et donner l’envie de s’engager dans cette voie professionnelle. La plupart des enseignants spécialisés titulaires se sont formés très volontairement après avoir été nommés sur des postes de l’AIS.

Notre parcours dans le premier degré, confirmé par l’enquête effectuée, révèle que le travail en équipe n’est pas monnaie courante. Si les échanges sont nombreux au niveau des élèves, les classes restent fermées (à l’exception des écoles en zones difficiles) et on observe, au mieux, quelques pratiques partagées au sein d’un même niveau de classe (décloisonnement, échange de service, évaluations communes). Force est de constater que le travail en équipe n’est pas très dynamique. Si celui-ci est souhaité dans les mentalités, il n’est pas très observé sur le terrain. Il n’est donc guère possible, dans une telle situation, de prendre du recul sur ses pratiques et d’adapter ses enseignements aux élèves à besoins spécifiques.

Nous avons vu, dans la première partie de notre recherche, que notre enseignement et ses programmes présentent un caractère élitiste. Ils s’appuient, notamment au travers des évaluations communes, sur ce que les « meilleurs » sont capables de faire. La formation initiale est basée sur des pratiques visant l’acquisition optimale des connaissances par rapport à une norme supérieure. Les enseignants travaillent, la plupart du temps, en référence aux « meilleurs » élèves ou au moins à ceux qui réussissent le mieux. Il est vrai que ce sont ces élèves-là qui rassurent les enseignants quant à la qualité de leurs pratiques, leur permet d’obtenir des satisfactions professionnelles tout à fait louables. Mais qu’en est-il des élèves qui ne réussissent pas aussi bien que les autres ? La réponse a déjà été donnée maintes fois, les enseignants généralistes ne savent pas toujours faire avec les élèves en difficulté.

Nous sommes tout à fait conscient du caractère utopiste de ce dernier élément que nous souhaiterions voir évoluer. Si des tensions existent entre maîtres généralistes et maîtres E, elles sont dues à l’existence de ces deux groupes professionnels. Sans souhaiter la disparition des maîtres spécialisés, il paraît important de réduire les différences constatées. Deux axes peuvent être envisagés :

Nous restons conscient du caractère improbable d’une telle évolution de la formation d’autant plus que la polyvalence au niveau des matières à enseigner est appréciable pour les jeunes enfants qui ont besoin de repères affectifs stables. C’est l’institution qui peut faire évoluer les choses.