5.3. Du côté de l’institution

Comme dans le paragraphe précédent, certains éléments développés complètent ceux précédemment présentés.

Les pratiques « différentes » du maître E l’amènent à réfléchir sur chaque cas d’élève dont il a la charge. Cette réflexion adapte les activités au plus juste des difficultés rencontrées. Dans son emploi du temps, le maître E se réserve des plages horaires sans élève : parfois en fin de journée, parfois à la fin des séances. Ainsi, le temps devant élèves est moindre que chez les enseignants généralistes, ce qui peut, encore une fois, susciter les jalousies et engendrer des tensions. Par le fait que cette réduction du temps devant élèves est institutionnalisé, un déséquilibre est constaté entre maîtres généralistes et maîtres E quant à l’horaire hebdomadaire. Le maître généraliste rencontre les mêmes soucis de réflexion en plus du temps de préparation et de correction. L’institution pourrait choisir deux orientations :

Les entretiens révèlent que ce déséquilibre n’est pas apprécié des maîtres généralistes. Certains avancent que cet avantage octroyé aux maîtres E aboutit à certaines dérives et que l’intérêt de l’élève passe, parfois, en second plan.

Ce qui peut également entraîner des tensions et stigmatiser l’élève aidé, est le fait que le maître E est un maître de l’AIS qui travaille dans des écoles généralistes. Le statut de maître spécialisé se justifie davantage dans des établissements spécialisés où tous les enseignants ont la même formation, et, par là même, le même statut. Le maître E intervenant en école généraliste n’a pas forcément sa place dans le secteur de l’AIS. Avec la même formation supplémentaire, mais tout en se présentant comme du secteur généraliste, comme ses pairs, le maître E ne serait plus forcément générateur de tensions. Allant dans le même sens, les élèves aidés ne le seraient plus par un maître « spécialisé » de statut, mais un maître apportant une aide particulière aux élèves « à besoins particuliers ». Cette aide pourrait d’ailleurs être dispensée par tous les enseignants du premier degré si la formation initiale était un peu plus longue. Pour gommer les différences, il est nécessaire de former de la même façon tous les enseignants.

Dans le premier paragraphe de ce chapitre, nous abordons le fait que les réunions d’école n’ont pas toujours l’efficacité souhaitée. Dans les établissements spécialisées et dans les enseignements adaptés du second degré, ces réunions dites « de synthèse et coordination » sont rémunérées. Ce « détail » est d’importance car la tournure que prennent alors ces réunions est d’un autre ordre. Leur régularité permet la prise de décisions, l’efficacité est de mise. Un réel travail d’équipe s’observe, chacun a sa place, et la parole de chacun est respectée. Dans le premier degré, il y a une vingtaine d’années, le Ministre de l’Education nationale alors en place, a réduit d’une heure le temps hebdomadaire devant élèves des instituteurs. L’heure « restante » est utilisée pour se réunir et constitue donc un temps rémunéré. Pendant une ou deux années scolaires, la pratique la plus observée consiste à libérer de cours les élèves une demi-journée toutes les trois semaines, ce qui permet aux enseignants de se réunir pendant trois heures sur le temps de travail. Très rapidement, des dérives apparaissent, et chacun s’assure un confort certain en faisant de ce temps libéré pour réunion, un temps libéré, tout simplement, les réunions du soir, inefficaces, après la classe, sont rétablies. De la même façon, réapparaît le sentiment d’une augmentation du temps de travail, sans compensation financière. Dans les mentalités, le fait que le temps de partage en équipe fait partie du temps de travail hebdomadaire est depuis très longtemps oublié. L’institution n’a pas pris garde aux dérives qui sont très vite apparues et a autorisé, de fait, que les enseignants soient libérés. Dans la formation initiale, tout comme régulièrement dans les équipes, l’institution, au travers des inspecteurs, se devrait de rappeler les obligations horaires des enseignants ainsi que le contenu des réunions faites sur le temps libéré des élèves.

D’un tout autre ordre, partant d’une démarche volontaire et étant des pratiques très individualistes et dispersées, apparaît, ces dernières années « l’analyse de pratiques ». Basée sur les échanges et les partages, son caractère à orientation analytique et thérapeutique permet aux enseignants de ne plus se sentir seul face à leurs propres difficultés (renvoyées par les difficultés de l’élève qui agissent comme autant de miroirs). Des solutions sont discutées en commun et les séances sont supervisées par un professionnel des échanges et des situations qui posent problème, mais pas par un enseignant. Les objectifs visés permettent de dépasser la difficulté, tout en rétablissant une relation positive avec « l’élève miroir ». L’intérêt de l’analyse de pratique est reconnu, et des résultats très positifs s’observent. Si l’institution rendait obligatoire ce type de pratiques, l’isolement des enseignants disparaîtrait et un réel travail en équipe au service de l’élève verrait le jour.

En France, c’est l’écart à la norme supérieure que l’on mesure et non pas ce que l’élève acquiert au niveau des savoirs et des connaissances, l’évaluation pratiquée est ségrégative. On ne mesure pas le chemin qu’il reste à parcourir pour « maîtriser le programme », mais on dévalue les efforts des élèves. Ce système d’évaluation ne permet pas à tous de progresser. Les élèves ne savent pas où ils en sont par rapport à la norme supérieure, ils savent seulement qu’ils sont « bons » ou « mauvais ». Un système d’évaluation montrant à l’élève ce qu’il apprend tout en lui permettant de visualiser là où il en est – plutôt que de lui montrer ce qu’il ne sait pas ou ce que ses pairs savent mieux que lui – serait d’une efficacité tout autre, quant au chemin qu’il reste à explorer.

Avant l’arrivée des maîtres E, les élèves en difficulté dans les classes étaient aidés par leurs maîtres, la situation était normale. La création des R.A.S. et des dispositifs qui l’ont précédé, voit apparaître les maîtres spécialisés sur le terrain, maîtres « sans classe » qui sont là pour apporter l’aide, jusque-là dispensée par le maître généraliste, aux élèves en difficulté d’apprentissage. Tout est donc à mettre en place, notamment le travail partagé au service des élèves. La venue des maîtres spécialisés crée le besoin. Jusque-là, les élèves sont dans les classes. Les maîtres E rencontrés constatent que les signalements au réseau d’élèves en difficulté ne cessent d’augmenter, jusqu’à arriver à des aberrations, comme le signalement de la moitié des élèves d’une classe. Le maître généraliste, à l’époque de l’apparition des maîtres spécialisés, s’est senti dévalorisé. Actuellement, nous l’avons déjà dit, les exigences des programmes ne permettent pas forcément d’accorder autant de temps que nécessaire à ceux qui avancent moins vite. Les maîtres généralistes laissent aux maîtres E la tâche de prendre en charge les élèves en difficulté. L’institution n’a donc pas envisagé que la spécialisation des enseignants entraînerait la création d’un besoin dans les écoles.

Allant dans le même sens que les éléments précédemment exposés, la création de différentes structures engendre la marginalisation des élèves. L’action des enseignants s’optimise si elle va dans le sens d’une discrimination positive des activités partagées, et non plus individualistes, comme cela fonctionne actuellement. A notre humble niveau, les compromis que nous concédons sur le terrain, permettent de voir évoluer la représentation que les enseignants généralistes se font du maître E. Reste maintenant à étendre à un public plus élargi ce que nous mettons en place de façon « expérimentale ». Nos interventions, tant au niveau de la formation initiale et continue que dans les échanges entre pairs dans différents établissements, nous encouragent fortement à poursuivre dans cette voie. Agir sur les éléments périphériques est essentiel pour que les mentalités changent et que l’élève puisse dépasser le plus rapidement possible ses difficultés.