5.4. Agir sur les représentations sociales

Arrivé aux termes de l’analyse, nous avons le sentiment, qu’actuellement, la représentation sociale de l’élève aidé à l’école est figée et n’évolue plus. Nous constatons, dans les mentalités, un certain état de fait, une résignation et une banalisation de la stigmatisation. La représentation sociale ne peut qu’évoluer par un processus cognitif s’orientant sur l’objet de représentation. Mais avant de pouvoir faire évoluer la situation, encore est-il nécessaire de la comprendre. Voyons donc maintenant quels types d’actions peuvent agir sur les éléments périphériques pour faire évoluer les mentalités. Connaître les représentations sociales sous leur aspect structurel et fonctionnel apparaît désormais essentiel.

Nous présentons ci-après, sous forme de tableaux synthétiques, les perspectives d’évolution souhaitées pour voir évoluer positivement le regard porté aussi bien sur les deux catégories d’enseignants concernés, que sur l’élève en difficulté. Nous dissocions les propositions d’action sur les deux représentations sociales et nous ne reprendrons que brièvement ce que nous avons déjà développé dans les paragraphes précédents. De la même façon, nous exposons les éléments périphériques que nous souhaitons conserver car agissant comme éléments positivement porteurs dans les mentalités.

Agir sur la représentation sociale des maîtres généralistes.
Noyau central Eléments périphériques Perspectives d’actions envisagées
     
Il existe un profil type d’élèves prédisposés.
Le regard est différent. Afin d’éviter la stigmatisation, il est nécessaire, sur le terrain, de changer la forme des interventions pour arriver à une discrimination positive. Si les pratiques et les évaluations changent, le regard change également. Le maître E limite au maximum l’aide apportée en dehors de la classe pour ne pas priver l’élève en difficulté des activités de sa classe de référence. Si l’aide est dispensée en même temps qu’une activité similaire du groupe, la mise à l’écart et la distance sont annulées, l’élève en difficulté « assiste » (sans participer pleinement) aux activités, le maître E devient un second enseignant dans la classe et ses pratiques deviennent transparentes.
L’élève de cycle trois est en échec scolaire. Faut-il renoncer ? L’élève est déjà dans la situation de l’échec, on porte sur lui et ses capacités d’apprentissage, un regard résigné. Au cycle trois, l’élève est encore jeune et peut évoluer s’il bénéficie d’un étayage dans ses apprentissages. Il est également plus mûr pour percevoir l’intérêt d’une aide transversale. La difficulté réside dans le fait qu’il se stigmatise lui-même et qu’il éprouve une certaine honte face à ses camarades. Une restauration narcissique, ainsi qu’une réconciliation avec les matières enseignées, sont nécessaires. C’est à ce moment-là qu’une aide extérieure est envisagée. Les parents de l’élève sont fortement impliqués à cette situation.
Le milieu social, la fratrie, la CSP sont marquants. L’enseignant est mis face à ses propres difficultés, il ne sait comment agir. Si l’analyse de pratique devient courante dans les écoles, elle permet également de percevoir l’élève autrement qu’à travers son histoire personnelle. Quelque chose est forcément possible pour lui, même si ses aînés ne sont pas parvenus à dépasser leurs difficultés avant lui.
     
La difficulté scolaire se distingue de la difficulté globale.
Les maîtres généralistes signalent des élèves par rapport à une difficulté globale. Paradoxe de cet élément périphérique : malgré la distinction faite par le noyau central, les maîtres généralistes continuent de signaler au maître spécialiste de la difficulté d’apprentissage, une difficulté globale. Les missions du maître E ne sont pas clairement définies, pas plus que le public qui le concerne. En cas de difficulté globale, c’est une réflexion au sein de l’équipe éducative à laquelle s’associent les parents qui est engagée. L’aide extérieure à l’école s’envisage par le biais du maître E qui prend en compte, de cette façon, la difficulté globale.
L’aide doit être globale. Cet élément est récurrent dans les discours des maîtres généralistes et révèle, d’une part, une méconnaissance des missions, et, d’autre part, un refus de leur reconnaissance. Au premier niveau, celui de la méconnaissance, c’est pendant la formation initiale que les choses peuvent évoluer. Le secteur de l’AIS est souvent laissé de côté, c’est une fois sur le terrain que les maîtres généralistes le découvrent. Les pairs plus anciens dans la profession dressent un portrait erroné de la mission réelle du maître E, correspondant à ce qu’ils en attendent. Au second niveau, celui de refus de reconnaissance, à l’issue des entretiens, nous sommes persuadé que le maître E s’attache à garder un certain mystère autour de ses activités, ce qui lui permet d’asseoir sa hiérarchie de connaissances. Encore une fois, il doit intervenir au sein même de la classe de l’élève et se considérer comme un pair de ses collègues généralistes.
La difficulté scolaire isolée ne nécessite pas une aide spécialisée. Le maître E intervient dans les classes pour un dépistage précoce. Un projet de travail commun doit se met en place.
     
L’écart à la norme doit être mesuré. Les évaluations sont identiques. C’est l’élément du noyau central qui disparaît par une action sur l’élément périphérique. Les évaluations sont individualisées pour constater ce que l’élève a acquis et non pas ce qu’il ne sait pas faire. Ce point est fortement ancré dans les mentalités – et pas seulement des enseignants – et fait partie de la culture scolaire française.
     
Les pratiques sont différentes. Les différences entraînent des tensions. Les pratiques ne sont pas différentes, c’est la représentation que le maître généraliste se fait du maître E qui dicte la différence. Pour que les tensions disparaissent et cessent de desservir l’élève, le deux maîtres travaillent ensemble dans le même lieu.
Eléments présentant une dynamique pour la représentation.
Noyau central Eléments périphériques Leur action positive sur la représentation sociale
     
Des tensions peuvent exister.
Les tensions peuvent avoir une incidence sur l’élève aidé. Cet élément périphérique agit comme un garde-fou et prévient l’apparition des tensions. Si l’enseignant est conscient qu’elles peuvent être négatives pour les élèves, il fait en sorte de les en préserver.
Les tensions ne sont pas ressenties. Situation idéale atteinte, le maître généraliste et le maître E travaillent en harmonie, même si leurs actions sont différentes ou méconnues. Une confiance est installée.
La responsabilité des tensions n’est pas attribuée. Pas d’attribution des tensions mais cependant elles existent. Grâce à une action ciblée sur cet élément périphérique dans la représentation sociale des maîtres E, celui-ci disparaîtra naturellement chez les maîtres généralistes.
     
Il existe une différence entre la difficulté d’apprentissage et l’échec scolaire.
Ils sont dus à des éléments externes à l’école. L’enfant est considéré comme une personne et non pas comme un élève qui n’est pas capable d’apprendre.
Le traitement de la difficulté doit être précoce. Ceci permet à la difficulté d’apprentissage d’être réduite avant d’évoluer vers l’échec scolaire qui est considéré comme stigmatisant et irréversible au cycle 3.
     
La difficulté scolaire se distingue de la difficulté globale. La difficulté scolaire est un élément de la difficulté globale. L’enfant est considéré comme une personne et non pas comme un élève qui n’est pas capable d’apprendre. Des actions spécifiques peuvent se mettre en place.
     
Les pratiques sont différentes.
Le travail d’équipe avec le maître E est facile.
Les différences n’entraînent pas de tensions.
Les maîtres généralistes ne se sentent pas différents.
Les maîtres généralistes se sentent différents.
Le travail se fait en harmonie, seul compte l’intérêt de l’élève. La spécificité de chacun est reconnue, les pratiques propres respectées. S’il se sent différent, le maître généraliste n’évoque pas de tension due à cette différence, il va même jusqu’à ne pas se sentir différent, accentuant encore davantage le sentiment d’harmonie.
Agir sur la représentation sociale des maîtres E.
Noyau central Eléments périphériques Perspectives d’actions envisagées
     
Profil type d’élèves accueillis. Le profil est déterminé par le type de difficulté, la CSP, l’image sociale véhiculée. C’est sur le terrain que les choses peuvent changer. Le projet individualisé de l’élève se décide conjointement et n’est pas la seule affaire du maître E. Ce projet prend en compte des actions possibles dans la classe par le maître généraliste. Si chacun à son rôle dans l’action d’aide, le rejet de la difficulté de l’élève sur l’un ou l’autre maître disparaît. Le projet prévoit des temps de confrontation des actions des uns et des autres pour une régulation. Ainsi, la poursuite ou l’arrêt de l’aide par le maître E n’est plus uniquement de sa seule décision. Dans l’idéal, nous l’avons développé pour la représentation sociale des maîtres généralistes, l’intervention du maître E se fait dans la classe. Une fois cette démarche mise en place, le déterminisme du à la situation sociale de l’élève diminue au profit d’un regard plus singulier visant la difficulté, davantage que l’image sociale. C’est sur le terrain, par une pratique partagée, que les choses changent.
     
Certaines matières sont représentatives.
Les difficultés sont transversales. Le maître E, en avançant le fait que son action cible la transversalité et la transférabilité, fait un amalgame de tout ce qui est enseigné à l’école. Le maître généraliste ne s’y retrouve pas. Dans sa demande, il n’est pas entendu, la hiérarchie de connaissances est pesante. Il est possible que l’élève rencontre des difficultés persistantes dans une matière et pas dans d’autres, que cette difficulté soit purement instrumentale. Alors, est-il réellement nécessaire de travailler la transversalité ? Le maître E n’est pas rabaissé s’il travaille sur le mécanisme de la matière, un retour à la didactique des apprentissages est bénéfique pour l’élève. Le maître E réfléchit à ses actions, ne perd pas de vue qu’il est avant tout enseignant, qu’il connaît bien les matières enseignées à l’école et met de côté sa vanité.
La relation affective avec une ou plusieurs matières est rompue. Le maître E change ses pratiques et travaille, certes sur la transversalité, mais à partir de la ou des matières qui mettent l’élève en difficulté. A cet âge-là, il est nécessaire de créer du lien entre ce qui est vécu en classe et les résultats faibles obtenus dans certaines matières. L’élève travaille à partir des erreurs qu’il commet en classe sans que lui soit rajouté des démarches dont il n’est pas en mesure de comprendre la portée. Les erreurs et les difficultés existent déjà, inutile d’en créer d’autres. A cette condition, une relation affective positive avec les matières se rétablit.
     
Il existe des tensions entre le maître généraliste et le maître E.
Eléments présentant une dynamique pour la représentation.
Des tensions sont ressenties.
Le maître E est responsable des tensions.
Ces tensions disparaissent si le maître E fait des compromis, ne met pas en avant ses connaissances « supérieures » et partage davantage avec le maître généraliste. L’aide est conjointe.
Le maître généraliste est responsable des tensions. Elles disparaissent par un travail partagé.
Le maître E se sent différent. L’action à mettre en place sur le terrain se situe à deux niveaux : au niveau du maître E lui-même, et au niveau des pratiques. Au niveau du maître E : il cesse de déconsidérer le maître généraliste, en prenant en compte ses demandes, même s’il les juge non recevables car ne relevant pas de sa spécificité et de ses connaissances différentes des difficultés. Au niveau des pratiques : celles-ci sont partagées, la part du maître généraliste dans la décision d’aide et la menée de l’action, est égale à celle du maître E. Ce dernier ne détient pas les « pleins pouvoirs » et n’est pas le supérieur de son collègue, il partage ses connaissances. Il se conduit en tant que pair et l’aide devient efficace.
Il est à noter que cette différence ressentie ne revêt que peu d’importance dans la représentation du maître généraliste, elle n’empêche pas le travail en équipe. C’est le maître E qui met à frein aux pratiques partagées.
Eléments présentant une dynamique pour la représentation.
Noyau central Eléments périphériques Leur action positive sur la représentation sociale
     
Profil type. Il n’y a pas de profil type. Si le maître E considère qu’il n’y a pas de profil type, la situation sociale et familiale de l’élève n’est pas prise en compte. La difficulté est inhérente à tout apprentissage, elle survient et disparaît à n’importe quel moment de la scolarité de l’élève. Elle ne cible pas une catégorie déterminée d’élèves.
     
La difficulté d’apprentissage et l’échec scolaire sont deux concepts différents.
La difficulté scolaire est distinguée de la difficulté globale. Cet élément périphérique dynamise l’élément périphérique suivant.
Les deux difficultés ne bénéficient pas du même traitement. Si le maître E considère que les deux difficultés ne peuvent bénéficier du même traitement, c’est qu’une reconnaissance de la difficulté globale est effective. Même si celle-ci ne relève pas des compétences du maître E, ce dernier propose une prise en charge – extérieure à l’école, par exemple – pour aider l’élève. La demande du maître généraliste est prise en compte et non rejetée. De cette façon, le maître généraliste ne se sent pas seul, la difficulté de l’élève ne le renvoie plus à sa propre difficulté.
     
La mission du maître E concerne un public en difficulté.
Le maître E accueille des élèves en difficulté scolaire. Le maître E agit dans sa spécificité.
Le maître E accueille des enfants en difficulté globale. Les demandes du maître généraliste sont prises en compte. Des compromis positifs au service de l’élève sont pratiqués, un travail d’équipe se met en place.
     
Certaines matières sont représentatives. L’élève est en difficulté dans une ou plusieurs matières. Le maître E base l’aide qu’il apporte à l’élève sur ses difficultés. Il n’en crée pas de nouvelles qui déstabilisent encore plus. Ce type d’aide, que notre pratique nous a appris très efficace, entraîne la participation du maître généraliste, le rééquilibrage est permanent, l’élève progresse et dépasse sa difficulté.
     
Il existe des tensions entre le maître généraliste et le maître E.
Les pratiques sont différentes. L’efficacité pédagogique de l’aide réside dans le fait que l’élève ne refait pas, à l’identique, ce qui le met en difficulté en classe. L’approche didactique diffère d’une personne à l’autre. Ce ne sont pas les pratiques qui sont différentes, mais les personnes, aussi bien dans leur dimension professionnelle que dans leur dimension humaine.
Le maître E ne se sent pas différent. Cet élément périphérique complète le précédent.
Les tensions existent mais ne sont pas ressenties. Si tous les éléments souhaités mis en place le sont réellement de façon efficace, cet élément périphérique « inoffensif » disparaît.

L’élément essentiel qui est appelé à évoluer dans les deux représentations est celui relatif aux tensions. En effet, elles nuisent à l’efficacité du travail au service de l’élève en difficulté et contribuent à le faire glisser, peu à peu, par le jeu des différences professionnelles mises en avant, vers l’échec scolaire.

Notre hypothèse de recherche est vérifiée. Les quelques perspectives d’évolution présentées s’orientent vers des dispositifs qui verraient disparaître les tensions. Si les deux groupes n’en formaient plus qu’un, la situation idéale serait atteinte.