2 - Entretien du 07/12/00 – Isabelle

  • Tranche d'âge 40/50 ans.
  • Ancienneté : 21 ans.
  • Milieu : urbain ZEP.
  • Fonction : maîtresse « E », institutrice.
  • Quand on vous demande quel est votre métier, que répondez-vous ?

Institutrice spécialisée.

  • Comment avez-vous été amené à faire ce métier ?

Avant d’être institutrice j’ai été monitrice éducatrice dans un établissement qui accueillait des enfants en difficulté, notamment difficultés sociales. J’ai beaucoup aimé travailler en individuel avec eux. Quand je suis devenue instit, je me suis tout de suite orientée dans le spécialisé, travailler en réseau est donc un choix, je n’aimerais pas faire autre chose, pour l’instant.

  • En quoi consiste votre travail ?

Je travaille avec des petits groupes d’enfants qui ont des difficultés à démarrer à l’école, surtout des enfants du cycle II, j’essaye de les motiver, de leur faire comprendre le rôle de l’école et des apprentissages.

  • A qui s'adresse votre action ?

A tous les enfants.

  • Quelle définition pourriez-vous donner de votre métier ?

C’est un métier qui consiste à travailler sur les points qui présentent des difficultés aux enfants à partir d’un diagnostic et d’un projet individualisé pour l’enfant.

Qu'est-ce que vous connaissez de mieux que les autres parce que vous êtesinstituteur ?

L’enfant, c’est tout à mon avis.

  • Quels sont les points communs à tous les instituteurs ?

Je pense que nous avons tous le désir de travailler avec des enfants, que nous aimons leur contact, que nous souhaitons faire quelque chose pour eux et avec eux. A ceux qui ne mettent pas tout de suite en avant ce désir, je leur dis de faire autre chose. Il y a une quinzaine d’année, quand le concours a été ouvert aux personnes ayant des diplômes universitaires, on a vu arriver sur le terrain des gens qui disaient que c’est les vacances qui les motivaient le plus, bien sûr ils ont fait autre chose avant et avaient beaucoup moins de vacances, je trouve ça dommage de dire ça, mais bien sûr je ne crache pas sur les vacances.

  • Dans quelle catégorie sociale et salariale vous classez-vous ?

Classe moyenne.

  • Etes-vous personnel d'exécution ou personnel d'encadrement ?

Plutôt d’encadrement tout simplement parce qu’on a la charge d’enfants et qu’on a une certaine liberté d’action avec eux.

  • Que pensez-vous de votre salaire ?

Ca va, je ne me plains pas.

  • Pensez-vous être marqué socialement par votre métier ?

Tous les enseignants sont marqués par leur métier. D’ailleurs tous les gens qui travaillent sont marqués, le travail ça souligne une appartenance à un groupe. Certes il y a des gens qui en parleront plus que d’autres et spontanément et qui ne parleront que de ça, d’ailleurs c’est pénible des gens qui ne parlent que de leur travail. Oui, je suis marquée.

  • Pensez-vous véhiculer une image de votre métier en dehors de votre vie professionnelle ?

Quand on est entre enseignants on parle de travail, mais en dehors, j’en parle quand on me demande des choses mais je ne pense pas avancer toujours que je suis institutrice.

  • Pour les gens que vous côtoyez et qui ne sont pas de votre profession, remarquent-ils que vous êtes instituteur ?

Je pense au bout d’un moment, ils peuvent deviner ce que je fais, avoir une idée mais dire spontanément que je suis institutrice, je ne pense pas.

  • Mettez-vous votre profession en avant ?

Non.

  • Est-ce que c'est quelque chose que vous souhaitez donner à voir ?

Pas particulièrement, mais je ne me cache pas non plus.

  • Si vous n'aviez pas été instituteur, est-ce qu'il en aurait été de même ?
  • En quoi est-ce que l'on peut reconnaître en vous que vous êtes instituteur ?

Je pense que c’est peut-être à ma façon de répéter les choses ou de faire répéter les gens pour voir s’ils ont compris ce que je dis, c’est une déformation professionnelle.

  • Etes-vous fier de faire ce métier ?

J’aime ce que je fais.

  • Pouvez-vous citer des éléments gênants pour votre travail ?

Ce qui me gêne c’est la relation parfois difficile avec les enseignants des classes. Ce n’est pas facile d’expliquer à tous la différence entre soutien et adaptation. Quand je leur dis que le soutien c’est leur boulot à eux, celui qui doit être fait en classe et que moi j’interviens quand ils ne peuvent plus rien, ils ont du mal à comprendre et croient que je refuse d’aider les enfants, c’est les enfants qui subissent l’incompréhension, c’est dommage.

  • Et des éléments facilitant votre travail ?

Et bien c’est le contraire, des gens qui sont capables de partager d’échanger, d’écouter et d’expliquer. J’essaye au maximum d’orienter les échanges autour de l’enfant. C’est important, j’aide en priorité l’enfant, si l’aide peut être mutuelle entre les enseignants c’est tout bénéfice pour l’élève car on peut alors recueillir un maximum d’informations et aider au mieux l’enfant.

  • Le métier comprend-il des contraintes ?

Forcément, mais je ne peux pas développer toutes les contraintes. C’est normal, dès que tu fais quelque chose dans la vie, il y a des contraintes, si tu vis seul sur une île déserte, les contraintes pourraient éventuellement disparaître.

  • Quels sont pour vous les moments les plus formateurs pour votre métier ?

D’abord c’est la formation spécifique que j’ai reçue et la forme dans laquelle elle a été dispensée. Ensuite, je dirais que c’est le contact des enfants et de leurs difficultés qui est formateur, chaque jour tu apprends à faire quelque chose autrement.

  • Quelles sont les modalités de formation qui vous satisfont ou vous satisferaient ?

Je serais tentée de dire en s’arrêtant de temps en temps, mais si on s’absente c’est toujours ça que tu feras pas avec les enfants. La place d’un enseignant c’est dans sa classe, je me bats pour que les synthèses et les réunions aient lieu hors temps scolaire. Prendre du recul, réduire les vacances d’été… Mais là je tends le bâton pour me faire battre.

  • Peut-on être formé par des gens qui ne sont pas de la profession, pas de l'enseignement ?

Oui.

  • Est-ce que vous pensez que la capacité d'adaptation est un élément caractérisant les membres du groupe instituteur ?

Je dirais que dans le spécialisé on est plus souvent amené à s’adapter, que la routine s’installe moins qu’en classe. Mais là je mets une différence entre les uns et les autres. Oui dans le spécialisé, non pour les enseignants des classes.

  • Avez-vous parfois l'impression que certains de vos collègues font un travail tout à fait différent du votre, et avez-vous parfois l'impression que vous faites un travail tout à fait différent de celui de vos collègues ?

Forcément, mon travail est différent de celui des autres. Je travaille avec moins d’enfants, à chaque séance je dispose de peu de temps et je dois boucler une séance, un apprentissage, même si c’est plus découpé que dans les programmes. Alors forcément le travail n’est pas le même.

  • Quelles relations entretenez-vous avec les parents ?

Elles sont indispensables et la plupart du temps cela se passe bien. Je convoque systématiquement les parents qui ne me connaissent pas, je leur explique ce que je fais, ce qui diffère de la classe, ce qui est mis en place pour leur enfant. Les autres parents, ceux qui me connaissent, je les reçois à leur demande, donc pas toujours, sauf si l’aide à beaucoup évolué pour leur enfant.

  • Quelle place les parents devraient avoir dans l'école ?

Etre plus confiants, moins revendicatifs et collaborer avec nous pour l’intérêt de leur enfant. C’est plus facile pour nous car, même si au bout du compte on reçoit beaucoup de famille, on voit moins de gens que dans une classe, tu imagines si les collègues accordaient une heure voire plus d’entretien à chaque famille ?

  • Une collaboration parents/enseignants est-elle possible ?Souhaitable ?

Indispensable pour ce que je fais.

  • Pensez-vous avoir une bonne connaissance des programmes actuels ?

Pas trop non. Je sais en gros où doit se faire un apprentissage, mais quand exactement dans l’année non, c’est à chacun de voir ce qu’il peut faire.

  • Ces programmes vous conviennent-ils ?

Non, trop lourds dans les deux cycles.

  • A votre avis, est-ce que c'est l'école qui génère les difficultés de l'enfant, ou accueille-t-elle des enfants en difficulté ?

Alors je dirais les deux. L’enfant est en difficulté sociale et affective, il ne va pas à l’école, il n’y a pas d’apprentissage scolaire, donc on ne voit pas forcément ses difficultés. Quand il arrive à l’école les apprentissages, surtout ceux de notre fonctionnement français, vont être un tremplin pour révéler les difficultés. Là c’est un point sur lequel il faudrait énormément réfléchir dans les hautes instances, c’est grave de toujours assimiler difficultés sociales égales difficultés scolaires.

  • L'école primaire est-elle en mesure de former de futurs jeunes adultesautonomes et responsables ?

Pas du tout, mais alors pas du tout. Et puis je pense que c’est ce qu’on demande à l’école mais ce n’est pas forcément son rôle.

  • Sentez-vous des différences de statut au sein des membres du groupe instituteur ?

Oui, j’aimerais dire non mais il y en a. D’ailleurs on entend des choses sur les PE et les instits, sur les instits des classes et les spécialisés… Mais on ne peut pas aller à l’encontre de ça, il y a des statuts différents donc cela entraîne des conflits.

  • Qu'est-ce que la hiérarchie, son rôle ?

C’est l’inspecteur qui devrait animer sa circonscription. C’est son rôle, mais à lui aussi on lui demande de plus en plus de choses, et puis il y a ceux qui aiment tant le pouvoir qu’ils n’animent pas ils donnent des ordres, ce n’est pas très pesant, on ne le voit pas si souvent que ça.

  • Sentez-vous des gens au-dessus de vous ?

Non.

  • En dessous de vous ?

Non.

  • Sentez-vous une hiérarchie dans le groupe instituteur ?

Oui, il y une hiérarchie, c’est une hiérarchie relationnelle. Si tu observes les relations dans une réunion c’est très complexe. C’est généralement le directeur qui anime, il s’adresse d’abord aux personnes qui ont une position forte dans l’école, qui s’impliquent dans la vie de l’école en plus de la vie de leur classe. Puis il va s’adresser aux maîtres du CM2, c’est donc le niveau qui a une grande importance. Il m’arrive de m’ennuyer en réunion, alors j’observe des choses comme celles-là, ça me plait beaucoup. Je pourrais parler des heures de cela, donc oui, il y a une hiérarchie.

  • Pour vous, qu'est-ce qu'une équipe pédagogique idéale ?

Je rencontre de plus en plus d’équipes d’école dont le fonctionnement tendrait à me convenir. Les échanges sont plus nombreux, les classes s’ouvrent, même si c’est léger, mais l’arrivée des PE formés différemment que nous et ayant une ouverte d’esprit plus large que la nôtre, que celle que l’on avait en débutant, nous c’est pas compliqué, on avait le bac et on allait à l’EN pendant trois ans, même si moi j’ai fait autre chose, donc l’ouverture d’esprit nulle, l’école, la famille, les courses. Il y a 20 ans c’était les seules discussions dans les cours de maternelle, même si c’est une caricature. Maintenant les gens échanges ouvrent leur porte, l’enfant devient le centre des préoccupations.

  • Souhaiteriez-vous fonctionner ainsi ?

Oui.

  • Est-ce le cas actuellement ?
  • Dans le fonctionnement actuel de l'école, êtes-vous favorable ou défavorable au fait que l'enfant ait plusieurs enseignants ?

Il faut faire très attention, surtout avec le public que l’on accueille. Les enfants sont difficilement canalisables, alors s’ils changent de lieu trop souvent c’est sujet au chahut, ils n’ont pas le temps de se calmer qu’on les excite déjà. Attention aux repères, on a tendance depuis quelques années à les perdre.

  • En gardant un référent ?

C’est nécessaire que l’enfant sache à qui il a à faire.

  • Un tel fonctionnement favoriserait-il le travail en équipe ?

Je ne pense pas.