Deux exemples d’entretiens de maîtres généralistes pour la définition du groupe social d’appartenance

1 – Entretien du 10/12/99 - Michel

  • Tranche 50/55 ans
  • Ancienneté : 36 ans
  • Milieu : urbain
  • Fonction : directeur
  • Quand on vous demande quelle est votre profession que répondez-vous ?

Instituteur.

  • En quoi consiste votre travail ?

A enseigner aux élèves.

  • A qui s’adresse votre action ?

A des élèves de cours moyen 2° année en général, en tout cas à des cycles III.

  • Quels sont les points communs à tous les instituteurs ?

Ils sont fonctionnaires. Il faut qu’ils se sentent bien avec les enfants, un des points communs à beaucoup d’instituteurs c’est qu’ils ne sont jamais sortis de l’école, de leur vie. C’est à peu près tout.

  • Quelles type de définition pourriez-vous donner de votremétier ?

C’est quelqu’un qui enseigne aux enfants et qui participe à leur éducation.

  • Qu’est-ce que vous pensez connaître de mieux que les autres parce que vous êtes instituteur ?

Connaître de mieux que les autres j’en sais rien moi, c’est la formation professionnelle que j’ai pu avoir qui me fait considérer les enfants non pas comme des adultes en réduction mais comme des personnes qui ont leur mode de fonctionnement et leur mode de pensée. Et donc c’est essentiellement ce que j’ai retenu de ma formation professionnelle qui a été très minime il y a maintenant 35 ans.

  • Quels sont les moments les plus formateurs pour votre métier ?

Les moments les plus formateurs pour mon métier, j’allais dire c’est quand on travaille en équipe, quand on discute, mais non c’est tout de même les stages, les stages de formation j’ai quand même appris beaucoup de choses. Donc ça a fait évoluer pas mal ma façon de fonctionner dans le métier au fur et à mesure de ma carrière. Mais c’est vrai que deuxième aspect, ce qui est plus formateur c’est quand on est en réunion de cycle ou en réunion de conseil des maîtres ou en équipe.

  • Quelles sont les modalités de formation qui vous satisfont ou vous satisferaient ?

Des stages réguliers, moi je serais assez pour que tous les ans on ait un stage d’un mois, obligatoire et qu’on puisse refaire le point sur des sujets variés, que ce soit des sujets didactiques ou des sujets de fonctionnement d’école ou des choses comme ça. Mais il devrait y avoir un mois de stage de formation chaque année.

  • A votre avis, peut-on être formé par des gens qui ne sont pas de la profession ?

Oui absolument, ça n’empêche pas que des gens qui sont de la profession peuvent nous former aussi, je suis preneur de tout.

  • Pensez-vous être marqué socialement par votre métier ?

Complètement oui. Marqué dans mon rythme de vie, dans mon salaire, dans ma conception de la vie, oui absolument. Dans mes activités militantes aussi quand même.

  • Pensez-vous véhiculer une image de votre métier en dehors de votre vie professionnelle ?

Oui, oui, j’essaye en tout cas.

  • Les gens que vous côtoyez et qui ne sont pas de la profession, remarquent-ils que vous êtes instituteur ?

J’en sais rien, j’ai pas le bouc mais à mon avis ça se remarque. Moi je remarque les instituteurs partout où ils sont même si ils n’ont pas de bouc, alors je pense qu’on me remarque aussi.

  • Mettez-vous votre profession en avant ?

Oui, sans problème puisque que je suis également militant syndical je veux dire c’est partout que je suis comme ça.

  • Si vous aviez fait une autre profession, est-ce qu’il en aurait été de même ?

Oui, je pense si c’est une profession qui me plait et dont je suis content, il n’y a pas de raison. Comme c’est le cas et que le métier me plaît je n’ai aucune honte à déclarer que je suis instituteur, en même temps j’en suis assez fier.

  • En quoi est-ce que l’on reconnaît en vous que vous êtes instituteur ?

A la parole, puis à la façon de donner des leçons sans arrêt, y compris dans la relation avec les adultes, c’est un métier de parole, et je suis un parolier permanent, et puis je pense qu’on est très donneur de leçons, on explique, on est sans arrêt en train d’expliquer ce qu’il faut faire, les instituteurs, je dois avoir le même défaut je pense, mais je me rends compte que je parle beaucoup.

  • Est-ce que vous pouvez citer des éléments facilitant votre travail ?

C’est l’ancienneté d’abord, c’est d’avoir changé de poste souvent, d’avoir fonctionné en secteur difficile, ça a facilité mon travail, ça t’oblige à te remettre en cause et ça t’oblige à travailler en équipe et là c’est vraiment ce que j’ai découvert de plus intéressant dans le métier.

  • Est-ce que vous pouvez citer des éléments gênants pour votre travail ?

Le temps, le temps, le temps, la classe, c’est ce qu’il y a de plus gênant, c’est à dire le lien entre l’instituteur et la classe, c’est peut-être ce qu’il y a de plus gênant, il devrait y avoir un lien entre l’instituteur et les enfants de l’école et le temps. L’instituteur seul dans sa classe. C’est tout de même la seule profession où on n’a pas le droit de pisser. Imagine un instituteur seul dans sa classe sans collègue, il n’a pas le droit d’être malade, tu peux pas lâcher les gamins jamais. C’est ce lien à la fois passionnant et intéressant avec la classe qui pose tant de difficultés pour que le métier change et évolue. Parce qu’en même temps c’est une belle aventure d’être dans une classe, mais en même temps c’est complètement stérilisant et coinçant.

  • Le métier comprend-il des contraintes ?

Oui, il implique des contraintes d’abord dans le comportement dans la façon de vivre, dans le fonctionnement. On est obligatoirement, pas en ville parce qu’on est noyé dans la masse, mais à la campagne, il y a des contraintes énormes, y compris à l’école, en dehors de tes heures d’enseignement, tu ne peux pas te comporter comme tu veux, oui, il y a des contraintes. Ca c’est les contraintes hors métier, il y a des métiers où tu peux vivre ta vie comme tu veux en dehors. Il y a aussi les contraintes normales, les contraintes du métier. Les horaires, la carrière, c’est normal, comme tous métiers.

  • Est-ce que vous pensez que la capacité d’adaptation est un élément caractérisant les membres du groupe instituteur ?

Non, surtout pas, c’est bien là le problème.

  • Avez-vous parfois l’impression que certains de vos collègues font un travail tout à fait différent du votre ou vous même avez-vous l’impression de faire un travail tout à fait différent du leur ?

Je poserais pas entre moi et les autres, mais il y a d’abord deux groupes d’instituteurs qui font deux travaux différents, ceux qui sont en secteur très difficile qui font essentiellement un travail d’éducateur et ceux qui sont dans un secteur où les enfants sont encore suffisamment conditionnés pour être réceptifs et pour lesquels on fait d’abord un travail d’enseignant, le travail éducatif est secondaire alors que le travail d’enseignant est prioritaire. En secteur difficile l’enseignement est un moyen d’arriver à l’éducation, alors que dans les secteurs ordinaires l’éducation est annexe et puis c’est d’abord l’enseignement. Moi par rapport aux autres, ici j’ai moins l’impression de faire un travail différent de mes collègues d’ici puisque moi entre les deux secteurs j’ai changé de métier, j’ai complètement modifié mon approche des élèves et mes élèves ont complètement modifié leur réception à ce que je disais, donc j’ai changé de métier. Quand même j’ai l’impression de travailler différemment des autres oui, chaque collègue ici travaille…à la fois on est tous dans le même cadre et il y en a pas un qui travaille de la même façon.

  • Sentez-vous des différences de statuts au sein du groupe instituteur ?

Oui, ça commence à venir avec les jeunes PE, je pense, absolument. Pas avec les PE rechapés où là il n’y a pas de problème, c’est une intégration si elle est plus proche, plus rapide pour les uns que pour les autres tout le monde se dit ils y arrivent c’est tant mieux, mais les jeunes PE, à mon avis, ça commence à se sentir.

  • Qu’est-ce que la hiérarchie ?

Inexistante pour moi, ça ne me pose aucun problème dans le cadre normal de fonctionnement, c’est la structure, ça ne me pose strictement aucun problème, je ne fais pas une fixation sur la hiérarchie. J’ai toujours eu d’excellents rapports, même de bons rapports même quand personnellement j’ai été inspecté de façon négative, ça m’est arrivé, mauvaise inspection, de bons rapports avec les inspecteurs par exemple, et puis c’est qu’en travail syndical on fonctionne différemment par rapport à la hiérarchie et donc non aucun problème. Moi le supérieur hiérarchique c’est quelqu’un qui a un autre poste que moi, que je refuserais personnellement, puisqu’il fait partie de l’administration, c’est pas la hiérarchie c’est l’administration, et eux ils gèrent les moyens, ce que je n’ai pas à faire moi, je gère les moyens budgétaires de l’école.

  • Sentez-vous des gens au-dessus de vous ?

Non, ils ont un autre métier, pas au-dessus de moi.

  • Et sentez-vous des gens au-dessous de vous ?

Alors à priori non, comme ça, mais on considère que le métier d’instituteur c’est un métier où on a en permanence des gens en dessous de nous c’est les enfants. Il y a une approche du pouvoir qui serait à travailler un jour, y compris dans une période où les questions de la violence à l’école se posent, elle est pas toujours extérieure à l’école la violence, j’en suis tout à fait persuadé, je ne parle pas de la violence physique, elle est souvent verbale et c’est une chose qui n’a jamais été étudiée. Il y a un problème, je considère que les instituteurs, globalement, pas tous, c’est des gens qui étaient de bons élèves à l’école et qui sont devenus les meilleurs élèves de l’école qu’ils n’ont jamais quittée. Donc ils continuent à jouer à la maîtresse ou au maître, alors psychanalitiquement je suis incapable de le gérer mais c’est vrai que je le juge un peu comme ça. Cette façon de refuser le monde extérieur quand on est instituteur, je pense que cette évolution je l’ai connue moi aussi, je pense y avoir échappée par la syndicalisme par les obligations syndicalistes mais je me rappelle bien que ça a été une façon de fonctionner pour devenir instituteur, même si il y a aussi des évolutions financières, à l’époque les normaliens ils poursuivaient leurs études, donc il fallait aller au bac donc c’était ça, mais il y aurait peut-être eu d’autres moyens. Je pense que c’est une évolution, dans le corps actuel des instituteurs, de ma génération, même dix ans plus tard, ça a du jouer beaucoup, après je ne dis plus.

  • Pour vous, qu’est-ce qu’une équipe pédagogique idéale ?

Ce sont des gens qui ont pu se mettre d’accord au préalable sur un projet commun, et donc qui peuvent se coopter pour une école nouvelle qui se créée. On a eu la situation idéale, c’est à dire qu’on a pu éviter le barème et la nomination régulière en commission paritaire, on était issue de deux écoles pour en former une troisième. On a créé un projet avant que l’école n’existe, c’est ça l’équipe pédagogique, on est d’accord sur un projet commun. Le jour où il y aura des projets d’école définis, précis, vraiment précis et travaillés, les gens se renseigneraient non pas sur les conditions de logement de l’école ni quel niveau ils auraient, mais quel est le projet de l’école, ils viendraient sur la base d’un projet correspondant à un quartier, correspondant à une équipe. C’est ça l’équipe pédagogique idéale. Le danger de tout ça c’est le copinage, il y a des règles à respecter comme l’ancienneté, la cooptation ça peut être le copinage et les passes droits donc moi j’ai vécu professionnellement cette cooptation qui ne remettait pas en cause les règles du barème, je sais que ça ne pourra jamais se renouveler, je suis très content d’avoir connu ça.

  • Souhaiteriez-vous fonctionner ainsi ?

Oui, mais je sais que ce n’est pas possible, aujourd’hui dans les règles de la fonction publique telles qu’elles existent aujourd’hui. Ce n’est possible parce que les collègues dans des écoles ordinaires n’en ressentent pas le besoin, parce qu’ils peuvent aujourd’hui continuer à travailler seuls dans leur classe, donc s’ils en ressentent pas le besoin c’est purement idéologique la construction d’une équipe pédagogique, donc ça se fera pas, ça se fera à très très longs termes. L’idéal n’existera pas.

  • Pensez-vous avoir une bonne connaissance des programmes ?

Non, j’ai une bonne connaissance des programmes de fin de cycle III point.

  • Ces programmes actuels vous conviennent ?

Non du tout. Alors là pas du tout et je les remets en cause complètement non pas dans leur plus ou moins de programmes mais dans leur contenu même, dans les disciplines qui sont enseignées, dans la place même faite aux disciplines qui est à mon avis exagérée et inutile, ça nous fait perdre du temps, on fait perdre du temps aux enfants, je remets en cause complètement. Il y a des choses à apprendre aux enfants, qu’est-ce qui se passe au collège on n’en sait rien, les instituteurs découvrent ce qui se passe au collège quand ils sont parents d’élève et qu’ils découvrent ce que leurs propres enfants font au collège, et ils découvrent qu’ils font la même chose, il y a vraiment un hiatus énorme et à partir de là il y a des disciplines qui sont complètement ignorées, je pense au droit par exemple, on est une société qui se judiciarise de plus en plus et en plus c’est le droit qui est totalement absent des disciplines jamais apprises, il y a plein de choses… C’est tout à refaire, tout.

  • A votre avis, est-ce que c’est l’école qui génère les difficultés de l’enfant ou accueille-t-elle des enfants en difficulté ?

Les deux mon général, l’école accueille des enfants en difficulté et je pense qu’elle accentue pour une part ces difficultés, je connais des écoles de ZEP qui arrivent à vivre de façon paisible, et ça ça vient du travail de l’équipe. Et je connais les écoles ordinaires où il y a tout de même des tensions chez les gamins, entre les instits et les gamins… Et où il y a plus de violence globalement et de tension qu’il devrait y en avoir. L’école a à faire à des enfants qui sont souvent en difficulté et elle a un rôle énorme à jouer pour les accentuer ou les diminuer.

  • L’école primaire est-elle en mesure de former de jeunes adultes autonomes et responsables ?

Actuellement non mais elle peut, elle a ce rôle à jouer, là je pense vraiment que ça dépend du projet d’école, ça dépend de plein de choses.

  • Dans le fonctionnement actuel de l’école primaire, êtes-vous favorable ou défavorable au fait que l’enfant ait plusieurs enseignants ?

Moi je pense qu’il peut avoir plusieurs enseignants, déjà il les a, il y a des intervenants extérieurs qui sont des enseignants, il y en a plein, donc oui. Je pense qu’il est important qu’il y ait plusieurs enseignants en même temps ça ça me semblerait que le travail en équipe se fasse ensemble avec un groupe d’enfants. Pas obligatoirement la classe, parce que je pense que le groupe classe doit éclater, doit disparaître, mais c’est plusieurs enseignants avec les mêmes enfants. On fonctionne différemment quand on est deux, ça permet plein de choses. Il faut que l’enfant ait un référent et puis après il faut pas éparpiller. Actuellement le référent c’est celui qui enseigne le français et les maths, et ça ça me gène. C’est un instituteur référent de deux disciplines, celles qui sont considérées comme essentielles et les autres étant offertes aux intervenants extérieurs.

  • Un tel fonctionnement favoriserait-il le travail en équipe ?

Ca obligerait le travail en équipe, si on travaille en équipe on serait obligé de décloisonner beaucoup plus.