2. Problématique et Plan

2.1. Problématique

La clinique des psychoses m’a interpellée sur le rapport au temps. Bien souvent, les patients semblent désorientés dans le temps comme dans l’espace. Cela peut se manifester par l’incapacité que manifeste la personne à savoir identifier depuis combien de temps elle est hospitalisée, ou, si elle a une date de sortie, ce que peut signifier cette date en terme de durée. Le rapport au temps s’illustre également au cours des entretiens, qui peuvent paraître très longs à certains alors qu’ils peuvent être brefs (par exemple de dix minutes), ou très courts, alors qu’ils durent davantage. La difficulté à s’orienter dans la chronologie comme dans les souvenirs est aussi questionnante. Un patient m’indiquait qu’une équipe de recherches était venue dans le service pour évaluer le différentiel entre le temps mesure et l’appréhension de ce temps mesure par les patients. Par exemple, il s’agissait de faire compter des secondes à des patients pour évaluer le rapport entre ces secondes comptées et les secondes de l’horloge. Il m’est apparu que ce dont il est véritablement question, dans le rapport au temps de la psychose, c’est moins d’un comptage de seconde, que d’un rapport affectif à un temps d’ordre qualitatif, le temps étant un vecteur d’orientation mais aussi de désorientation dans le cours de sa vie, des événements qui la traversent et qui la mettent en sens.

C’est pourquoi l’objet de ma recherche est d’analyser le « temps vécu » (Minkowski, 1933, cf. I.1.2., infra) dans la psychose. Ce temps fut généralement associé à un temps figé, arrêté (Madioni, 1998), un « temps des glaciations » (Resnik, 1999). La présente réflexion entend remettre en question cette notion de temps figé, avec pour hypothèse que, si la psychose s’inscrit difficilement dans le temps linéaire et social (cf. I.2.2., infra), elle n’est pas pour autant dépourvue d’un vécu temporel autre que glacé. Ce temps vécu semble se retrouver dans le délire psychotique.

Or, l’un de mes postulats épistémologiques (cf. Introduction, 4, infra) est qu’il existe une continuité psychique entre un épisode délirant et un épisode non délirant. L’épisode délirant serait le moment de crise, qui est aussi, moment de dévoilement, et de discernement, pour le clinicien, de ce qui peut être à l’œuvre au niveau psychique. C’est pourquoi le délire doit être entendu comme une virtualité permanente de tout discours sur soi, ainsi que le rappelle Lacan (1946, p. 151-193) : « Loin qu’elle soit pour la liberté une insulte, (la folie) est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’être de l’homme, non seulement ne peut pas être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté ». Le délire est l’un des symptômes principaux de la psychose, bien qu’on puisse le retrouver dans toutes sortes de pathologie. C’est également une notion de type culturel et social, car ce qui sera stigmatisé sous forme de délire dans une société, pourra être vénéré comme parole de sagesse dans une autre. Serait délirant tout sujet qui ne partagerait pas le monde commun, créerait un autre monde interne pour s’y substituer, ce qui aurait pour conséquence une forme d’inadaptation à ce monde commun, au cours de ce délire.

Postuler cette continuité psychique m’a permis, tout au long de ce travail, de dégager des grandes figures de la temporalité, que l’on retrouve dans le délire mais aussi en fond organisationnel de la psychose. Pour notre recherche, je n’ai en effet rencontré que des délires d’allure psychotique, ou des décrues de délire auprès de patients psychotiques.

Dès lors, ma problématique est la suivante :

En quoi le délire psychotique peut-il être révélateur d’un temps vécu de la psychose, et lequel est-ce ?