4. Méthodologie et Epistémologie

Cette recherche se fonde sur une méthodologie qualitative, ainsi que sur des postulats épistémologiques, qu’il convient de décrire et d’argumenter.

4.1. Méthodologie de recueil des données

Les données que j’ai pu recueillir pour nourrir ma réflexion l’ont été lors de mes temps de présence avec les patients sur le service, que ce soit dans des entretiens individuels, ou bien lors des réunions d’équipe. Pour retracer la biographie du patient et certaines données cliniques (anamnèse), j’ai également consulté les pièces des dossiers administratifs.

La méthodologie est centrée autour d’études de cas, à partir de l’analyse du matériel verbal et non verbal recueilli lors des séances, dans une perspective compréhensive et qualitative. Chaque patient étant porteur d’une histoire individuelle et d’une symptomatologie qui lui sont propres, l’étude de cas m’a paru être la méthode la plus favorable pour penser cette clinique des psychoses. Les entretiens individuels ont été libres lorsque la personne était en proie au délire, parfois semi-dirigés lorsque le délire s’était apaisé. J’ai toujours présenté aux patients l’objet de ma présence, et le thème de ma recherche. L’orientation de mes questions autour de la question du temps vécu lors des entretiens semi-dirigés était tout à fait comprise et bien perçue. Les patients savaient aussi qu’ils pouvaient me dire si telle ou telle question les dérangeait, qu’ils n’étaient absolument pas obligés d’y répondre s’ils ne le souhaitaient pas. Les entretiens ont duré entre une demie-heure et une heure, en moyenne. Il m’est arrivé d’en enregistrer quelques-uns, avec l’autorisation du patient, et dans la mesure où nous avions déjà fait des entretiens préalables qui pouvaient garantir un lien de confiance suffisamment fort. De fait, les patients à symptomatologie psychotique présentent souvent des mécanismes hallucinatoires d’ordre persécutif, et peuvent rapidement se sentir intrusés ou espionnés par le dictaphone. Je demandai toujours la permission d’enregistrer l’entretien, et parfois, le dictaphone était compris comme un troisième membre de la conversation, donnant lieu à des associations, voire même à des plaisanteries de la part des patients. En cas de refus, je rassurai la personne sur le respect de ce refus, en lui confiant le dictaphone et en lui montrant qu’il était bien éteint, si des phénomènes de méfiance se mettait en place.

Mes critères de choix de la population sont les suivants : une symptomatologie psychotique avérée, qu’il s’agisse d’une primo-hospitalisation ou non, ainsi qu’une alliance transférentielle suffisamment forte pour permettre plusieurs entretiens. J’ai pu ainsi voir des patients diagnostiqués schizophrènes, d’autres paraphrènes, d’autres mélancoliques ou maniaco-dépressifs, et, mais très rarement, paranoïaques. J’ai ensuite sélectionné le matériel clinique à partir de la richesse des délires produits.

Il s’agit donc d’une méthodologie qualitative, et non quantitative. Je pars en effet du principe que chacun porte en lui une part de l’humaine condition, et que, pour accéder à la spécificité de la subjectivité et du psychisme, la mesure quantitative est, en grande partie, défaillante. Elle peut être un prolongement de la dimension qualitative, mais ne saurait faire œuvre de science à elle seule, tant que la subjectivité inhérente à la mesure et à l’interprétation des statistiques n’est pas pensée ni théorisée d’un point de vue épistémologique (cf. infra). Mon postulat est anthropologique : pour étudier l’existant, il importe d’apprendre à parler le langage de l’Autre, et non pas de l’insérer dans des grilles de mesure qui relèvent de la culture psychiatrique et médicale, sans considération de l’altérité. Pour le dire autrement, la méthode clinique « vise à créer une situation, avec une faible contrainte, pour recueillir les productions d’un sujet dans un contexte qu’elle souhaite le plus large et le moins artificiel possible. Cette méthode suppose ainsi la présence du sujet, son contact avec le psychologue , mais aussi sa liberté d’organiser le matériel proposé comme il le souhaite »(Pedinielli, Bénony, 2001, p. 9).

En somme une recherche sur les processus psychiques ne peut acquérir de légitimité que par l’étude de la personne en situation, dans le lieu même où s’expriment ses symptômes. Penser l’institution (cf. III.5.3., infra), en tant que lieu anthropologique (Barrett, 1998) est alors primordial, et doit intervenir comme donnée infléchissant la recherche. Bien entendu, ma présence de stagiaire dans l’institution n’est pas neutre, et elle infléchit en partie le lieu anthropologique. Penser la relation intersubjective entre clinicien et patient (cf. III.5., infra) doit être également au cœur de la recherche. Le sens se construit en effet en commun, dans un sens partagé par le dialogue et par une rencontre.

Il me semble essentiel à l’heure actuelle de redonner tout son sens à l’entretien clinique, fondé sur la conception antique de la médecine hippocratique. Le corps n’est pas dissocié du psychisme, et le rôle du médecin me paraît être celui de s’agenouiller au lit (klinè, en grec, veut dire lit, et est la racine du mot clinique) du patient, dans une posture humble, pour tenter de saisir ce qui fait cohérence dans la maladie du patient. En ce qui me concerne, je partage tout à fait le postulat freudien du transfert et contre-transfert, comme outil pertinent pour l’observation clinique. Je ne suis absolument pas dupe de la scientificité de la recherche, si par scientificité on entend un positivisme du dix-neuvième siècle, où règne le primat de l’objectivité. Cette recherche qui est la mienne est précisément la mienne, car elle part de mes interprétations, et de mon vécu de ces entretiens. La seule recherche qui me semble prévaloir est celle qui se réclame d’une analyse du contre-transfert. Il est entendu que les études qualitatives de cas ne sauraient prétendre à une généralisation indue de la partie au tout. Aussi, si elles ont cet inconvénient par rapport aux études statistiques, en revanche, elles présentent l’avantage de permettre des analyses fines de la subjectivité psychique, ce que ne peut permettre une étude statistique.

Dans ma recherche, j’ai privilégié les micro-analyses de séquence. Dans la mesure où les entretiens cliniques ne me donnaient qu’un recueil de données à un moment spécifique, je suis là encore revenue à la médecine antique, en élaborant une considération du Kairos, ce moment opportun où quelque chose se révèle du temps vécu de la personne, au sein de l’entretien. Tous les entretiens n’ont pas été fructueux, mais certains ont pu être lumineux en ce qui concerne ma compréhension du temps dans le délire psychotique. Je ne retranscrirai dans cette étude que des séances qui m’ont paru faire émerger ces Kairoï, donc des séances représentatives. J’y évoquerai tant l’analyse du discours que mon interprétation des mouvements transférentiels et contre-transférentiels.