I.1. Définir la psychose

Dans ce chapitre, nous présentons la psychose sous la double perspective psychanalytique et phénoménologique.

I.1.1. Perspective psychanalytique

Pour la psychanalyse, la psychose est une catégorie nosographique qui s’oppose à la névrose, et se caractérise ainsi :

« On estimera que, par opposition aux névroses qui reposent sur le refoulement , les psychoses sont liées à une défense – comme le déni de la réalité , la projection ou l’identification projective – contre des angoisses de morcellement liées à une relation d’objet fusionnelle ». (Pedinielli, Gimenez, 2002, p. 10). La psychose est l’expression psychopathologique d’une intense souffrance, d’angoisses insoutenables qui menacent le sujet d’une désintégration psychique, que Schreber nomme le « meurtre d’âme ». Pour Aulagnier, « [l]a psychose met en cause ce patrimoine commun de certitude, dépôt précieux qui s’est sédimenté dans une première phase de notre vie psychique et dont nous réalisons tout à coup qu’il est la condition nécessaire à ce que nos questions fassent sens à nos propres oreilles et ne nous projettent pas dans le vertige du vide ». (1975, p. 14) Elle indique que, s’agissant de la psychose, notre tranquillité théorique est bien malmenée et inefficace. Ce qui est primordial selon elle, c’est la relation du psychotique au discours, qu’elle définit « par une série d’en-moins par rapport au modèle supposé définir ce que devrait être la relaiton sujet-savoir. Or si cette définition par l’en-moins peut à la rigueur expliquer une partie de la problématique psychotique, elle ne dit rien sur « l’en-plus » dont témoigne la création psychotique. Elle peut rendre compte de certains phénomènes de « régression », elle est muette sur le prodigieux travail de réinterprétation qu’opère la psychose  » (Op.cit., p. 17).

Dans la psychose se distinguent différents types de délire, qui se rejoignent sur la similitude du rapport au monde extérieur, à autrui, à l’énoncé et à l’énonciation. Le délire peut tout d’abord se définir par un recours à l’étymologie : « « Delirare » signifie en latin « s’écarter du sillon » (de-lira). C’est donc une métaphore agricole, qui décrit un sillon tracé à l’intérieur duquel on doit s’inscrire, faute de ne plus marcher dans le même sillon que les autres (donc « marcher dans le rang »). Le terme plus général employé chez les Romains pour dire la folie était « insania » (ne pas être « sain » d’esprit, « perdre la tête »), soit la déraison. Il existe enfin un troisième terme, pour décrire le délire dans sa mission prophétique, inspirée des divinités : c’est le « furor » (la fureur). Il s’agit d’un mot très fort, qui désigne tout aussi bien le délire de l’oracle, la passion furieuse, que la fureur guerrière. En somme, c’est le délire « fou furieux », en tant qu’il est envoyé par les divinités et où la personne se sent possédée. Le « furor » s’oppose à la « pietas », attitude pieuse qui consiste à respecter les dieux en restant dans les limites de sa condition humaine. Le détour étymologique permet d’indiquer que le délire est un écart par rapport à une norme sociale (sillon) ou un chemin de vie (historicité individuelle).  » (Barthélémy, Bilheran, 2007).

Le délire comporte quatre composantes : « La première est celle de la certitude (1) que le délirant accorde à son délire. Ainsi, avec ce critère, la raison elle-même peut devenir délirante. Les trois autres sont l’enfermement (2), l’aliénation (3), et l’inaccessibilité à la parole de l’autre (4). Toutes découlent du premier critère. Pour le délirant, le délire est précisément vécu comme la seule réalité possible, dans une incapacité fondamentale à prendre de la distance par rapport à soi et à intégrer la représentation de l’autre en soi. Il nous semble que c’est sur ce point précis que se cristallise le concept de délire » (Ibid.).

En effet, avec le délire, « [il] s’agit en fait d’une croyance qui n’est pas restreinte à son statut de croyance, mais érigée en dogme (cas du prosélytisme religieux), avec certitude inébranlable et excessive. Cette certitude ne permet donc pas de reconnaître au sujet qu’il délire au moment où il délire. L’adhésion à son délire lui donne plutôt l’assurance qu’il ne délire pas. Ce constat impose alors de penser le rapport que le délirant entretient avec le discours auquel il adhère. L’adhésion reste non partagée et c’est l’énonciation qui fait le délire, à savoir, le rapport du locuteur à ce qu’il dit. Dans une certaine mesure, le délirant est épris de son délire, captivé et aliéné par lui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne peut entendre la parole de l’autre ». (Ibid.)

C’est aussi cette situation qui aboutit au fait que « [l]a charge affective passionnelle qui est insérée par le sujet dans son délire est aussi la marque d’une « énonciation infatuée » (Lacan , 1946). Elle a donc à voir avec la problématique identitaire du sujet : le délire est en effet une passion de soi (souffrance , aliénation), par lequel le sujet s’attribue un nom, une généalogie, une mission, un destin… Cette infatuation de soi (« fatuitas » : assurance présomptueuse) se retrouve d’ailleurs dans toute la sémiologie régionale du délire : le fada, la fadole… ». Bolzinger note ainsi (1987, p. 10) : « Qu’est-ce que délirer ? La réponse à cette question se dégage à présent . Croire : le délire est une croyance, c’est-à-dire une certaine qualité d’énonciation vibrante et passionnée sur un énoncé peu spécifique et variable dans ses thèmes. Se croire : le délire est une croyance à propos de soi ; le délirant expose et transpose en un discours narcissique, solitaire et entêté, une identité idéale qu’il s’attribue en dépit de tout. S’y croire : le délire est une croyance infatuée, caractérisée par une exaltation présomptueuse, une assurance dominatrice et invincible, sans souci d’être reconnue ou partagée par autrui ». En somme, notre analyse aboutit à montrer que les repères cliniques du délire ne sont pas tant dans l’énoncé (questions de la vérité du délire, de la réalité…) qui est bien plutôt porteur de sens, que dans les problématiques identitaires de l’énonciation (position et charge affective que le sujet prend par rapport à lui-même dans le langage).