I.1.2. Perspective phénoménologique

Pour la phénoménologie, les psychoses sont des modes du Dasein, dans lesquels l’enchaînement logique ou la cohésion des conséquences de l’expérience est mis en question, et par suite la possibilité d’accomplir la démarche de la vie (Binswanger, 1960, p. 15, sq.). L’accès au délire serait un vecteur d’expression, et une tentative de restauration de la continuité de l’expérience, qui a été perdue. L’humain est un être-au-monde, et avec la psychose, ce sont les fondamentaux de l’existence qui sont attaqués : temps, espace, rencontre… C’est ce que précise Maldiney, dans son article « L’homme dans la psychiatrie » : « Ainsi dans la tragédie de Sophocle : Ulysse , témoin de la folie d’Ajax, dit à Athéna, qui le presse de s’en réjouir : « Je perçois en lui quelque chose qui est mien ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la psychose est une forme défaillante de la façon proprement humaine d’exister, c’est-à-dire d’être-au-monde, aux autres, à soi ; ou encore d’habiter, de bâtir, d’accueillir et d’exclure, voire de s’exclure » (2001, p. 31).

C’est en cela que la conception phénoménologique du délire insiste sur la notion d’infaillibilité (Jaspers, 1913), tout en soulignant la dimension accessoire des contenus délirants qui changent au cours de l’évolution du délire. Ce qui est infaillible, c’est la position d’adhésion du sujet à son délire. Binswanger (1965) a montré que chez le sujet délirant, le thème s’autonomise et ne permet plus d’aller à la rencontre du monde. Le délirant a perdu toute dimension d’ouverture au monde ; il est envahi par ce délire qui s’impose à lui. Mais, entre le délirant et l’artiste, existerait une différence fondamentale : l’artiste saurait qu’il crée, le délirant ne saurait pas qu’il délire, il ne ferait justement pas semblant. Le délirant se met lui-même en scène, sans recul ni distanciation.

Notre parti pris épistémologie sur la psychose consiste, et nous l’avons déjà précisé, en une interaction entre phénoménologie et psychanalyse. De la phénoménologie, nous retenons que l’humain est toujours en situation, et de la psychanalyse, qu’il est traversé par des processus psychiques inconscients. Mon modèle est donc davantage processuel que structural, avec l’idée que chacun serait porteur d’un potentiel psychotique, et que chez les patients dits psychotiques, certains aspects de la personnalité restent adaptés avec le monde environnant et les relations intersubjectives, tandis que d’autres aspects prennent des allures de déni de la réalité et de développement délirant.