I.2.2. Temps mythique/temps social

Au « temps qualité » et au « temps mesure » correspondent des modes d’appropriation différents.

Le « temps mesure » est le temps des horloges, linéaire et irréversible, qui régit et norme en apparence la vie en société (ce que je nomme temps social). C’est aussi le temps du calendrier et du repérage chronologique. Cette temporalité sociale nous confronte à la perte, à l’angoisse de mort, donc à notre finitude.

Ce temps linéaire est apparu grâce à Kronos, juste après la naissance de l'espace. En effet, le mythe grec raconte que les parents de Kronos, Ouranos et Gaïa, le Ciel et la Terre, étaient « collés ». De ce fait, Ouranos ne cessait de féconder Gaïa qui s’étouffait sous la somme des enfants qu'elle portait et qui ne pouvaient sortir d'elle, faute d'espace tiers. Kronos, le plus jeune, délivra alors sa mère en coupant les parties génitales de son père. La douleur provoqua chez Ouranos un mouvement de recul qui le sépara de Gaïa et créa entre eux un espace libre. Dans cet espace, les êtres vivants engendrés par la terre purent respirer , se développeret mourir. Chronos , le temps linéaire, le temps du devenir était né (Klein, 2003).

En revanche, derrière le temps social se greffe une temporalité plus sourde, et néanmoins bien présente, que j’ai nommée la temporalité mythique, et que l’on retrouvera dans des rituels temporels, par exemple (Nouvel An, saisons…). L'être humain est soumis à un temps linéaire qui du passé au futur le conduit inexorablement à la fin, à la mort. Ce temps est irréversible. Il s'apprécie à travers la confrontation de la simultanéité, de la succession et de la durée, ou encore à travers le passé, le présent et le futur. Le temps mythique est un temps non pas linéaire, mais cyclique (pour les différentes qualités du temps mythique, cf. II, infra). Nous retrouvons une autre métaphore de l'opposition entre le temps cyclique et le temps linéaire dans l'œuvre de Lévinas (1988, p. 191). Il oppose en effet la circularité du voyage d'Ulysse, figure emblématique de la pensée grecque, et la linéarité du voyage d'Abraham, figure emblématique de la pensée juive. Ulysse à l'issue de son voyage revient à son point de départ ; le voyage n'aura été pour lui qu'un intervalle entre soi et soi, annulant le temps écoulé. Abraham, au contraire, s'engage dans un voyage sans retour, acceptant la diachronie d'un temps écoulé que l'on ne récupère pas (Dewitte, 2002).