I.2.3. Temps psychique

Le temps psychique est à l’interaction entre le temps vécu, temps de la perception, affecté d’une modalité d’être qui le met en relief avec l’histoire intime du déroulement de la vie personnelle, et le temps social. Il est envisagé de façon générique, c’est-à-dire sans tenir compte des différences dues à l’âge, des variations selon les configurations psychopathologiques, ni des temporalités propres à des circonstances particulières de la vie, comme l’attente anxieuse, l’ennui, l’état amoureux et le temps de la séance d’analyse.

Au sens phénoménologique, le temps psychique est toujours pris dans une intersubjectivité temporelle. Il est mondanisé (Heidegger, 1927). Les ruptures du temps vécu sont des « brisures » (Fernandez-Zoïla, 1976) du temps intensif qualitatif, qui se transforment en troubles psychopathologiques, significatifs de souffrance et de création pathologique, simultanément.

Au sens psychanalytique, le temps psychique s’articule entre le temps du conscient, qui connaît le temps social (cf. IV, infra), et le temps vécu, qui s’origine dans l’expérience archaïque des rythmes au cours du développement psychique (bercements, balancements de l’enfant, cf. III.1., infra). C’est pourquoi il paraît impératif, pour comprendre le temps vécu, de revenir aux sources de l’apprentissage de la temporalité chez le bébé. Nous examinerons en quoi le rythme se distingue de la cadence.

La notion de temporalité me paraît préférable à celle de temps, pour exposer la notion sur un plan générique. Le concept de temporalité est intéressant, non pas en dépit de son imprécision mais en vertu de cette imprécision elle-même, qui permet de décliner tout ce qui a trait à la relation d’un sujet au temps, qu’il s’agisse de la perception du temps, des modalités passé/présent/futur, des diverses catégories relatives à l’évolution temporelle (stades, périodes…) , de la mémoire (souvenir, fixation, retour du refoulé…), ou encore, tout simplement, de l’inscription d’un sujet dans un vécu temporel qui lui est propre. Á cet effet, il semble pertinent de renvoyer à la définition de la temporalité par Mijolla-Mellor dans son article « Temporalité psychique », du Dictionnaire International de la Psychanalyse (2002, p. 1708) : « Manière dont les processus psychiques créent leur propre gestion du temps en fonction des trois possibilités que constituent la régression, la fixation et l’anticipation  ». Par temporalité, j’entends donc les divers vécus du temps, mais du temps comme phénomène appréhendé par une psyché aux divers niveaux de ses instances (Ics/Pcs/Cs), dans une approche psychanalytique et phénoménologique du temps (donc une approche ni mathématique ni philosophique). Á l’homogénéité thématique répondrait de fait une hétérogénéité des modes et des domaines d’investigation.

Le temps semble être l’objet d’un savoir immédiat : on sait ce que signifient les modalités du temps (maintenant, hier, demain, avant, pendant, après etc.). Alors que l’on croit savoir ce qu’est le temps, dès que l’on y réfléchit… Fameux paradoxe augustinien, au demeurant !

L’étrange, ce sont les modalités du temps (passé, présent, futur), et ses manifestations (simultanéité, succession ou durée). Ces modalités diffèrent en outre en nature, concernant leur rapport à l’existence : les passés sont retenus, remémorés, reconstruits, tandis que les futurs sont anticipés, attendus ou prévus. Il en est de même de ses manifestations : les processus temporels sont irréversibles, et le temps est ici en devenir, tandis que les relations de succession/simultanéité, qui restent toujours en mouvement, une fois établies, permettent de concevoir le temps statiquement, dans une sorte de dynamisme statique (équilibre dans le mouvement, équilibre de périodicité et de régularité). Le temps se révèle donc sans structure, sans la forme qu’il est pourtant permis à l’humain de lui donner. Le passé n’a pas toujours été passé, et le futur ne le sera pas toujours. Le présent, s’il restait présent à jamais, sortirait du temps pour muer l’immuable en l’éternel. La définition même de ces modalités est une absurdité logique. A proprement parler, le passé est un étant sans être, et le présent passe pendant qu’on en parle. Au nom de quoi le temps est-il mesuré ? L’homme avance dans le temps mais il avance dans la finitude et la mort, et c’est à partir de cette mort que se mesure le temps qui lui advient pour qu’il le vive. Seule la mémoire organise notre temps, de là, notre insistance sur l’importance de cette notion dans la temporalité psychanalytique (cf. IV.3., infra).

Le concept de temps a en effet la spécificité d’être à mi-chemin entre une mesure objective et une perception subjective, ou en d’autres termes, à la croisée d’un individu et du réel, condition de son identité par une séparation mais aussi une réappropriation de cette séparation : étymologiquement, le terme « temps » dérive de la racine indo-européenne « tem », qui signifie « couper ». Le temps désigne donc une certaine forme de coupure, qui sépare un élément, ou un individu d’un tout, mais également une coupure délimitant un dedans et un dehors, ainsi que l’exclusion de l’élément séparé comme son rassemblement avec le tout. Le temps semble donc être au fondement du projet identificatoire de l’individu (et en ce sens il n’est pas innocent que le cœur de la cure analytique revisite, par un questionnement, le temps vécu qui a structuré dans une certaine mesure l’individu). L’intérêt réside dans cette interaction entre un sujet et son vécu temporel.

Somme toute, le temps se définit comme la séparation d’éléments indivis (les instants qui se succèdent) et comme réunification de ces éléments, en une histoire, par l’articulation des instants. Seul l’individu est à même de créer l’histoire (cf. V., infra).