I.3.1. Philosophie

C’est la philosophie qui s’est penchée en premier sur la question du temps humain, réflexion qui remonte au moins au temps des Grecs Anciens (les Pré-Socratiques, Platon, Aristote, les Sophistes, entre autres). Des auteurs comme Kant ont pensé les conditions perceptives de l’accès à l’expérience, parmi lesquelles le temps apparaît comme une forme a priori de notre sensibilité (jugement synthétique a priori :il fonde, avec l’espace, notre réceptivité sensible au monde).

Nietzsche ou Hegel ont quant à eux interrogé la dimension historiale de l’être humain, ouvrant ainsi la voie à la phénoménologie. Husserl, puis Heidegger et d’autres (Merleau-Ponty, Derrida) ont centré leurs études sur cette dimension temporelle de l’existence humaine. Toutes ces conceptions philosophiques s’inscrivent autour de la notion de conscience, qu’elles la posent comme postulat, ou bien la rejettent. Toute pensée philosophique du temps est nécessairement une méditation sur les rapports du temps et de l’être. Le temps se propose d’emblée à la pensée comme une énigme ontologique (déjà chez Aristote, dans la Métaphysique et la Physique). La méditation aristotélicienne sur le temps révèle que le temps est en réalité à la fois étant et non étant. À peine entrevu, le temps s’évanouit. Source de tout apparaître sensible, le temps, en lui-même, est invisible. Le temps se manifeste comme passage de ses trois moments : passé, présent et futur. Il rend problématique la nature de l’instant ou du maintenant, limite entre présent, passé et futur, ainsi que la pensée de Bergson le stipule, concernant les notions de durée et de mémoire.

Le temps est le principe même du changement et du devenir. Le présent, même fugitif, permet de tisser le lien de l’être et du temps. Il est l’occasion de la saisie de la temporalité par la pensée. Comprendre le temps à partir du présent, confronter le temps à l’éternité, n’est-ce pas penser le temps à partir de l’intemporel et donc annuler le temps lui-même ? La temporalité désigne un temps vécu par la conscience, celui dont elle fait l’expérience et qui déploie, à partir du présent, un passé fait de rétentions utilisées comme acquis et appoint pour l’action (c’est le présent qui interprète ce qui fut actuel et ne l’est plus) ainsi qu’une anticipation de l’avenir. Berger dans son œuvre (1941), a su distinguer temps existentiel (ou à tonalité affective) et temps opératoire (ou temps de l’action sur les choses, qui est objectif, mesurable). Le temps existentiel est la vie même de la conscience, selon un mouvement de rétention/attention opérante/protention : la phénoménologie transcendantale de Husserl lie l’énigme de cette temporalité à celle de l’origine, et y voit une difficulté ontologique. Il s’agit pour Husserl de mettre hors jeu le temps objectif (l’épochè maintient le statut indécis du temps), et d’opérer le déplacement de la pensée du temps à celle de l’origine, et ce, dès l’introduction des Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps : « La question de l’essence du temps reconduit elle aussi à la question de l’origine du temps. Mais cette question de l’origine est orientée vers les formations primitives de la conscience du temps dans lesquelles les différences primitives du temporel se constituent, dans un mode intuitif et propre, comme les sources originaires de toutes les évidences relatives au temps » (Husserl, 1905, p. 14-15).

La question de l’origine se double de la question de l’existence et de la mort, ce qui retient l’attention de Heidegger dans Etre et temps . En somme toute la philosophie peut dire avec Merleau-Ponty : « C’est par le temps qu’on pense l’être, parce que c’est par les rapports du temps sujet et du temps objet que l’on peut comprendre ceux du sujet et du monde » (1945, p. 492).C’est pourquoi il me semble utile de faire un court rappel de ces grandes théories philosophiques sur le temps.