I.4.2.2. L’herméneutique de l’affect : une nouvelle méthode ?

Ricoeur, dans son ouvrage De l’interprétation. Essai sur Freud voit dans la psychanalyse et la phénoménologie deux herméneutiques. Il note qu’en psychanalyse « […] le problème de l’interprétation recouvre exactement celui du sens ou de la représentation » (1965, p. 78). La méthode serait donc similaire : « décrypter le sens profond, le sens « vrai » des comportements humains, à partir de leur sens apparent et à travers lui » (Henry, 2003 p. 164). Dans la phénoménologie, il y aurait un autre sens que celui qui se dévoile au premier abord, dans l’intentionnalité immédiatement conscience de soi sur l’objet. Ce sens reste à comprendre. La psychanalyse quant à elle offre des clés de compréhension de ce sens, et Ricoeur insiste sur ce point crucial de l’historicité de la psychanalyse : elle est à comprendre, non comme une science d’observation avec prétention positiviste, mais comme « science de la compréhension historique » (ce qui rejoint également les préoccupations d’Aulagnier qui refusait de lier la psychanalyse au dogme d’une « vérité »). En somme, la psychanalyse, en ce qu’elle pose la question de la genèse, de l’histoire de constitution du sens, est une archéologie du sujet, une « théorie de la motivation historique » (Ricoeur, 1965, p. 395). Il s’agit pour le sujet d’exhumer des significations enfouies, inconscientes.

En ce sens, Henry nous dit que la phénoménologie qui s’accorde avec la psychanalyse, « est une phénoménologie de la conscience intentionnelle, de la conscience donatrice de sens, qui convient à une psychanalyse elle-même comprise comme un décryptage de significations. Ou, pour le dire de façon plus catégorique : c’est à l’intérieur d’un même horizon philosophique, constitué par des présuppositions ontologiques communes, que phénoménologie et psychanalyse se laissent apercevoir comme le Même : comme une herméneutique » (2003, p. 177).

De ce fait, la technique de « réduction » phénoménologique est un outil méthodologique qui introduit l’herméneutique psychanalytique, puisqu’il s’agit d’un décentrement par rapport à la conscience vers ce qui lui échappe (Ricoeur, 1965, p. 396). En outre, l’intentionnalité se révèle comme médiation : la conscience est d’abord visée de l’autre, et non présence à soi (Op.cit., p. 398). C’est alors que le sens d’un vécu ou d’une conduite déborde toujours la représentation que la conscience en prend. La psychanalyse s’empare de cette distorsion de la conscience à elle-même pour introduire une suspicion dans un réseau de significations affectives et de motivations, et dispose d’un instrument d’investigation propre à comprendre cette distorsion.

Toutefois, là encore, il est impératif d’apporter quelques réserves sur cette méthode d’une interdisciplinarité. La notion d’herméneutique n’est en effet pas première en phénoménologie, elle n’en est même qu’un dérivé : cette recherche du sens est en effet une recherche de raisons, de motifs, de motivations, qui altère la dimension d’expérience dans la phénoménologie. Là où la phénoménologie voit des signes, la psychanalyse décèle en effet des symptômes. Dès lors, l’interdisciplinarité n’est possible qu’au prix d’un travestissement de la posture originelle de l’observateur phénoménologue.

En outre, l’inconscient psychanalytique ne saurait se réduire à la question du sens. De fait, il s’articule aussi et surtout autour de la notion de conflit psychique, que la phénoménologie ne conçoit pas. Cette notion de conflit d’affectivité entre deux représentations contradictoires est pourtant fondamentale pour penser le vécu temporel par le prisme du refoulement, de la régression, de la perte ou du clivage, par exemple dans l’expérience du deuil pathologique, et plus généralement, dans la mélancolie. C’est pourquoi il est impératif, après avoir décelé un postulat commun et une nouvelle méthode pour penser une interdisciplinarité entre phénoménologie et psychanalyse, d’introduire un objet pivot, en redéfinissant la notion d’affect.