II Figures temporelles du délire psychotique : des figures mythiques

Dans cette partie, je tenterai de montrer en quoi le temps mythique est organisateur d’un fonctionnement psychotique.

La présente réflexion entend remettre en question cette notion de temps figé souvent mise en exergue s’agissant de la psychose (Madioni, 1998 ; Resnik, 1999), avec pour hypothèse que, si la psychose s’inscrit difficilement dans le temps linéaire et social, elle n’est pas pour autant dans un vécu atemporel. L’un des axes de cette recherche consiste à recourir, par analogie, à la temporalité du mythe, telle qu’elle a pu être étudiée par les anthropologues, de façon à spécifier ce qui relèverait du vécu temporel propre de la psychose. Les mythes parlent en effet de la création du monde, de l’origine des choses, du passage de la vie à la mort, de la filiation divine…, comme par exemple le mythe des Enfers chez les Grecs où la mort est conçue davantage comme une métempsycose, ou le mythe de la castration d’Ouranos par son fils Cronos pour décrire l’origine du monde humain. Il semblerait que le discours du mythe et celui de la psychose recouvrent une proximité thématique, ainsi qu’une identique structuration temporelle du discours. C’est pourquoi nous proposons ici d’étudier la temporalité du mythe, et d’éclairer la spécificité de celle-ci par une comparaison entre psychose et mythe, de façon à penser la problématique suivante : que pourrait nous apprendre la temporalité mythique sur la temporalité psychotique ? Notre hypothèse est que la temporalité psychotique fonctionne sur le mode de la temporalité mythique, et que la prise en compte de cette spécificité peut avoir des implications thérapeutiques. Il y aurait ainsi un vécu temporel commun au mythe et à la psychose, vécu qui serait partagé collectivement à un niveau non pas conscient mais archaïque (bien entendu, il serait particulièrement intéressant de penser cette question de la temporalité mythique en regard de l’hypothèse d’un inconscient collectif, à l’aide de l’œuvre de Jung par exemple).

Notre propos s’organisera de la façon suivante : dans un premier temps, nous préciserons davantage ce que nous entendons par temporalité mythique. Puis, en nous fondant sur une étude de cas et dans une démarche comparative entre mythe et psychose, nous montrerons comment cette temporalité mythique est à l’œuvre dans la psychose sous plusieurs angles : rythmicité, circularité, figures de l’originaire, figures de la mort/regénération/connaissance, Temps du Sacré et Temps de Sisyphe, Temps du projet comme éternel retour et immortalité.

Notre hypothèse est la suivante : la psychose serait aux prises avec une temporalité mythique traumatique (celle de l’éternel retour lorsqu’il signifie désespérance), une temporalité désacralisée. La sortie de la répétition traumatique consisterait à lutter (notamment dans le délire) par le biais d’une sacralisation, qui orienterait cette temporalité mythique traumatique (cf. II.6., infra) vers une temporalité mythique sacrée. Il s’agirait de sortir de sortir de l’éternel retour profane pour entrer dans un éternel retour sacralisé. Par-delà cette subtilité entre éternel retour profane et éternel retour sacré (la temporalité mythique sacrée permettant de lutter contre la répétition traumatique), nous supposons que la temporalité psychotique serait régie par tous les autres aspects de la temporalité mythique. Cette dernière nous renseignerait ainsi sur la construction psychique de la temporalité qui se retrouve au plan tant individuel que collectif. Chaque réactualisation se décline sur un fond commun certes (qui permet l’intersubjectivité), mais aussi selon la singularité de l’individu (tel ou tel aspect temporel de la temporalité mythique sera particulièrement présent, par exemple, en fonction de la singularité individuelle).