Par ailleurs, le rythme du mythe est régi par une temporalitécyclique, dans la mesure où rythmicité et répétition permettent l’avènement de périodes (au sens étymologique de réitération circulaire). Chaque rupture est suivie d’un nouveau commencement, qui reproduit un cycle à peu près identique, malgré quelques variations. Ainsi, Eliade (1951, 1963) parle d’un « éternel recommencement », d’un « retour à un instant intemporel, un désir d’abolir l’histoire , d’effacer le passé , de recréer le monde » (1951, p. 13). Or, en procédant de manière circulaire, selon rythmicité et répétition, et non pas sur le mode de la fracture et de la perte, le mythe annule l’œuvre du temps social, et épuise la durée temporelle pour rejoindre un temps d’éternité. De nombreux symbolismes cosmologiques illustrent ce temps circulaire. Ainsi, dans les cultures du monde Antique, le Monde se renouvelle annuellement, et chaque année se purifie à un Temps originaire et sacré. L’Année a souvent été conçue sous la forme d’un cercle (les saisons étant des moments de ce cercle), ce que l’on retrouve également dans différentes religions (par exemple, dans le Temple de Jérusalem, avec les douze pains symbolisant les douze mois de l’année, ou encore dans le mythe grec de Perséphone 2 ).
Les répétitions et les rituels ont pour vocation, par-delà la rythmicité, à instaurer une temporalité cyclique. Cette circularité est inhérente au rythme, ainsi que le souligne Ciccone : « En musique (…) le tempo désigne la vitesse d’exécution d’une œuvre , sa cadence ; le rythme par contre désigne une véritable construction dans le temps , avec à la fois des retours périodiques de certaines séquences et des changements à l’intérieur de ces séquences. Le rythme contient donc un retour du même et des écarts à l’intérieur de ce même » (2006, p. 95-96). La circularité permet de conforter la « continuité sécure » qui permet d’élaborer les expériences de séparation, de discontinuité. La discontinuité n’est maturative que sur un fond suffisant de permanence . » (Op.cit., p. 97).
La circularité se laisse voir chez Gabrielle tout particulièrement dans ses incantations. Elle prononce en effet plusieurs fois par jour des incantations en hébreu ou en yiddish. C’est une sorte de leitmotiv, qui rejoint celui de ses histoires qu’elle raconte en boucle, à l’oral comme à l’écrit, avec de légères variations. Là encore, il s’agit d’un temps circulaire qui est sacré, et donc est destiné à donner de l’espoir face aux répétitions traumatiques d’un éternel retour pessimiste.
Ainsi, comme dans la temporalité mythique, « le trait spécifique du vécu temporel de la psychose est la mêmeté d’un déjà-vécu-depuis-toujours, que le sujet retrouve et répète chaque fois qu’expérience et rencontre le confrontent à une situation que nous appelons « traumatique » : qualificatif qui ne dépend pas de l’objectivité de la situation, mais de ce qu’elle réactive, en réponse, chez ces sujets » (Aulagnier, 1975, p. 268-269). Nous faisons l’hypothèse que cette temporalité du même « déjà-vécu-depuis-toujours » s’organise en temporalité mythique dans le délire, c’est-à-dire en temps du sacré qui autorise une tentative de réparation des répétitions traumatiques. Sans cette sacralisation propre à la temporalité mythique, la circularité pessimiste du temps vécu dans la psychose est parfaitement illustrée par une définition de Philippe, l’un des patients d’Aulagnier (cas de schizophrénie) :
« Le temps c’est un faux mouvement , on croit qu’il bouge, mais ce n’est pas vrai. Je vous l’ai déjà dit, pour moi le temps est circulaire, je ne peux pas faire une différence entre le passé et le futur . Je ne peux pas plus faire une différence entre la vie et la mort . Je ne comprends rien à toutes ces dualités : passé/présent , vie/mort, présent/futur […]… S’il y a quelque chose de différent de la vie ce n’est pas la mort, mais autre chose, je ne sais pas quoi. » (Aulagnier, 1984, p. 119).
Hadès en tomba amoureux, et l’enleva, avec la complicité de Zeus. Déméter, la mère de Perséphone, vint se plaindre à Zeus, qui décida que Perséphone partagerait son temps entre le monde souterrain (Hadès) et le monde d’en-haut (Déméter), en fonction du rythme des saisons. C’est ainsi que le mythe explique le retour annuel du printemps, puisque Perséphone revient, à chaque printemps, présider à la germination.