III La subjectivation temporelle 

La subjectivation est une notion récente, qui indique une dynamique processuelle, rythmique, discontinue, et traduit une multiplicité du sujet. Il s’agit du devenir-sujet d’un individu. Cahn (2004) questionne les « ratés » de la subjectivation qui se manifestent par un sentiment de vide, ou son contraire, une intrusion insupportable, comme dans la psychose ; dans les deux cas, il y a impossibilité pour le sujet de se trouver un espace psychique viable. Freud, dans « Constructions dans l’analyse » (1937) stipule l’hypothèse de pièces manquantes qui rendent impossible la subjectivation : le délire manifesterait un hiatus dans l’histoire du sujet, il comblerait une lacune, à partir d’un noyau de vérité historique. Toute psychose tente en effet de faire face à la menace de désorganisation complète. Le délire y apparaît comme une défense contre cet éclatement du psychisme.

La subjectivation, en tant qu’appropriation subjective d’une autonomie psychique, pose la question temporelle. Or les psychoses (ainsi que certains états-limites) traduisent l’une des impasses de la subjectivation. De fait, l’individu psychotique demeure dans la fixation traumatique. Incapable de penser le temps, d’anticiper l’avenir et de se projeter dans le futur, sa mémoire lui fait défaut concernant les traumas originels, dont les traces sont pourtant patentes au niveau de l’organisation psychique. Bion constate à ce sujet que dans les structures psychotiques, tous les événements psychiques répondent au modèle de l’acte, donc de l’actuel, le fantasme y compris, lequel s’anéantit dans sa forme de souhait, ce qu’implique l’attente, dans le délai qui se soutient de l’espoir de la réalisation. L’actuel ignore le passé et le futur.

Dans la psychose, il est difficile de trouver une anticipation ainsi qu’un espace du sujet propre. Le Moi se sépare de la réalité, puis dans un second temps, opère une tentative de retour à la réalité aux dépens du ça : d’où la création d’une nouvelle réalité en une tentative de réparation et de défense, qui correspond au délire. Dès lors, le rapport du psychisme au temps est particulièrement questionnant (Schreber, dans les Mémoires d’un névropathe,par exemple, par sa théorie de la migration des âmes, montre qu’il n’a aucun référent temporel propre : quand un être humain est mort, ses parties d’âme sont soumises à une procédure d’épurement pour être finalement réarticulées à Dieu. Ainsi se profile un cycle éternel des choses qui est au fondement de l’ordre du monde. Les régressions pathologiques n’ont pas la vertu de rendre visibles les états archaïques ; la régression psychotique n’est pas un simple retour en arrière dans le développement vers son point de fixation, car la prédominance de pulsions destructrices, désorganisantes, détruit en même temps qu’elle avance à reculons.

C'est, nous dit Tatossian (1979b), la difficulté du problème phénoménologique du temps... « Le temps est immanent à la conscience et la conscience est immanente au temps. […] D'une part, le temps est constitué par la subjectivité comme l'espace, les choses, ou les états psychiques mais d'autre part, ne faisant qu'un avec la subjectivité, il est temps constituant, moteur et milieu de toute constitution ». Il ajoute : « comme les altérations du temps sont ipso-facto altérations de la subjectivité, les psychoses seront le champ préférentiel du psychiatre phénoménologue ».

Dans cette partie, je vais tenter de mettre en lumière différents aspects de la construction psychique de la temporalité dans la subjectivation, et leur intrication dans la psychose. Pour ce faire, nous remontrons à l’origine du temps psychique, avant d’aborder les liens entre espace et temps dans la psychose, puis de penser l’arrêt (partiel ou total) de la subjectivation que constituent le deuil et la mélancolie. Nous examinerons ensuite le rôle de la transmission psychique dans la dimension temporelle de la subjectivation, pour traiter enfin de la question de l’intersubjectivité temporelle, et du temps de l’institution.