III.2.1. Les quatre dimensions de l’espace mental

Il pourrait être intéressant de comprendre la confusion qui s’opère entre temps et espace dans différentes pathologies, à commencer par l’autisme (Haag, 1987). Resnik (1994) avait évoqué la notion d’« espace mental » pour décrire la perception spatiale du psychisme. Haag a pour sa part travaillé les espaces du corps. Ces espaces traduisent également une temporalité symbiotique. Dans ses recherches avec les enfants autistes et psychotiques, Haag a relevé qu’ils sont fascinés par l’entretien du pareil, cherchant à exclure les relations d’emboîtage. Il s’agit d’un « entretien adhésif pathologique excluant l’interrelation pénétrante, et donc le système projection -introjection ». L’interrelation pénétrante (par exemple, celle du mains-bouche) témoigne de graves troubles de l’organisation de l’espace, où il n’existe « pas de commuincation interpénétrante possible » (Haag, 1987, p. 37). « […] [L]’élan fusionnel (en quelque sorte l’un dans l’autre), n’est-il pas un moment d’identification intense, réunissant en quelque sorte le projectif, l’adhésif (aller coller quelque chose de soi au fond de l’autre) et l’introjectif (le reprendre, sans doute amplifié, magnifié, dans le même mouvement ) ? » (Op.cit., p. 38). Cet élan fusionnel peut, et c’est notre hypothèse, concerner une temporalité collée, qui n’inclut que le cycle (temporalité mythique) et non la séparation que requiert la temporalité linéaire (temporalité sociale). De fait cette dernière nécessite la séparation car elle se constitue par le mouvement d’aller vers l’objet, pour le rejoindre. La spatialisation du temps, que l’on retrouve dans la schizophrénie (cf. III.2.3., infra), témoigne de cette indifférenciation, d’une temporalité régie par le pictogramme (cf. IV.1.1., infra).

Concernant la constitution de la représentation spatiale, Ciccone (2001, p. 84-85) synthétise la conception de Meltzer (1975, 1984a, 1992), qui distingue quatre mondes (interne, externe, monde à l’intérieur des objets externes, monde à l’intérieur des objets internes), lesquels conditionnent quatre dimensions de l’espace mental (cf. IV, 3 infra, pour voir en quoi ces dimensions seraient reliées aux différents stades du développement psychique), caractérisées comme suit :

1/ L’unidimensionnalité

Il s’agit d’un monde peuplé d’objet dont la seule qualité serait d’être attirants ou repoussants. Le temps ici ne saurait se distinguer de la distance. C’est le monde de l’autisme, où l’expérience est réduite à une série d’événements non disponibles pour la mémoire et la pensée.

2/ L’état psychique bidimensionnel

C’est un état antérieur à la distinction entre espaces interne et externe. Les objets sont perçus indifférenciés des qualités sensuelles de leur surface. La relation est une relation de collage faite d’imitation en miroir, d’écholalie, de superficialité. Il ne peut y avoir de processus de projection, faute d’espace interne différencié. La relation au temps est essentiellement circulaire, sans aucune possibilité d’envisager un quelconque changement durable, ni un développement, ni un arrêt. Toute menace contre cette immuabilité est éprouvée comme un effondrement des surfaces avec émergence des angoisses primitives catastrophiques (liquéfaction, chute sans fin, explosion…).

3/ La tridimensionnalité

Avec la tridimensionnalité, apparaît l’espace intérieur du self et de l’objet, des processus introjectifs et projectifs, de l’organisation différenciée des mondes externe et interne avec la naissance de la pensée. L’espace tridimensionnel voit se mettre en palce des orifices naturels et une « fonction sphincter » : le self lutte pour la protection et le contrôle des orifices, pour l’accès à la continence mentale. Le temps n’est plus indiscernable de la distance comme dans l’unidimensionnalité, ni circulaire comme dans la bidimensionnalité, il est appréhendé comme un mouvement d’un intérieur vers un extérieur prenant une tendance directionnelle propre.

4/ Le temps historique

Enfin surgit le temps psychique lié à l’introjection des bons parents, lesquels tisseront intérieurement une histoire. L’omnipotence prêtée aux bons objets comme aux objets persécuteurs intrusifs qui demandent un contrôle absolu s’amenuise. L’identifiction introjective prévaut sur l’identification projective. Se développe alors un mode de relation objectal aux dépens d’un type de relation exclusivement narcissique.

Notre hypothèse est que, dans la psychose, il existe un fond primitif d’unidimensionnalité, où le temps est confondu avec l’espace, mais que le délire opère comme un mécanisme défensif d’élaboration de la bidimensionnalité, ce qui explique le primat de la temporalité circulaire dans le récit délirant de la psychose. Très souvent, lorsque les patients perdent leur délire, survient une phase de dépression narcissique colossale, où ils disent se sentir vides, dans une chute sans fin (une chute comme « un bébé qui tombe du troisième étage », cf. III.1.3., supra), qui ressemble à une période d’agrippement, où le patient recherche le collage et la fusion avec le thérapeute.