III.2.4. Le cas Pascal (1)

Pascal est hospitalisé à la suite d’une première bouffée délirante aiguë. Il a tout juste dix-huit ans. L’évolution au cours des mois suivants confortera un diagnostic de schizophrénie débutante. Dans sa famille, le frère de son père était également schizophrène et s’est suicidé. Pascal présente des troubles du comportement, avec bizarreries, contact, ambivalence, confusion. En première, il aurait eu une rupture de résultats, à la suite de la découverte que son père trompait sa mère, et alors qu’il avait été bon élève auparavant. Il redouble sa terminale et s’engouffre dans une alternance de phases dépressives et de phases maniaques (surexcitation et insouciance). Lors de l’été qui suit, il est livré à lui-même et met le feu à un camp de vacances, ce qui lui fait encourir neuf mois de prison avec sursis et une injonction de soins. Il présente une décompensation délirante, avec des thèmes persécutoires, et des hallucinations. Il hurle « C’est le diable », en parlant de sa mère, et profère des menaces de mort à l’égard de son père, qui répond par une main courante contre son fils.

Pascal présente des conduites étranges, liées au temps et à l’espace. Il subit le clivage spatial entre les bons et les mauvais objets. Par exemple, il lui arrive de mettre tous ses vêtements à la poubelle sans explication. Une autre fois, il soulève le faux plafond et casse les fils du détecteur de fumée (arrivée des pompiers) : c’était « pour sortir plus vite ». Il traverse de sérieuses crises de type ontologique, avec un fort questionnement identitaire. Dans son délire, ses parents appartiendraient à une « secte de niveau trois ». Ils seraient des catholiques qui ont une vision de la Trinité délirante. Il parle de manipulation psychologique, et dit qu’il est remonté à trois générations pour asseoir ses certitudes. Il parle d’une secte qui réunit des petits clubs, lesquels seraient intouchables. Sa marraine serait « la gourou » et aurait fait vœu de pauvreté, de chasteté… Elle aurait un charisme avec des mains, plutôt un talent de guérisseur. Cette marraine parlerait à travers lui, et l’aurait influencé, et toute la famille s’y serait mise pour le faire taire et le mettre à l’hôpital. La marraine maintiendrait les propres parents de Pascal sous influence religieuse. Il précise tout de même que c’est sa marraine qui l’a élevé. Pascal raconte qu’il a été interné lorsqu’il a découvert ce secret de famille qu’est la secte. Il évoque des épisodes de divination avec sa marraine. Il dit avoir l’impression d’avoir été un « robot préfabriqué » depuis le début, le disciple fidèle de la marraine : « Alors je me suis développé à des trucs pas très catho, pas très sains… Je me mettais dans la peau du serpent, avec des lunettes de soleil… Je désenvoutais l’huile d’extrême-onction, et je suis rentré dans un personnage genre méchant, avec des influences ».

De temps à autre, il se prend pour Jésus II, ou Lucifer le retour. « Je me perds », précise-t-il souvent, parlant de son identité et de ses relations familiales. Il dit avoir un charisme, par lequel il capture l’âme, le cerveau, le cœur. Parfois, il se dit persécuté à tous les endroits du corps, et précise alors : « C’était pas moi qui pensais, pas moi qui écrivais ». Il mentionne un troisième œil qu’il se serait inventé et qui serait caché par des lunettes noires. Par exemple, ce troisième œil lui permettait de détecter, derrière l’étiquette d’un savon où est inscrit « peau sensible », la trace d’une manipulation.

Pascal est aux prises avec une influence temporelle et spatiale. Dans l’espace, les objets sont possédés par l’autre. Il arrive à Pascal de jeter tous les objets de sa cellule, car selon lui ils sont possédés et sont en train de le posséder. De surcroît, le temps est régi par l’omnipotence de l’autre, qui empêche même de s’approprier une dimension subjective du temps : « Je n’ai plus de montre. Je m’oriente avec le soleil et les gens qui donnent l’heure. « Tout vient à point à qui sait attendre ». Ça me donne un sentiment de libération, je me libère du côté institutionnel des choses, c’est-à-dire le fait qu’on ait voulu segmenter le temps, que ce soit obligatoire. Ça fait un mois et demi que je n’ai pas de portable ni de montre ». Alors que régulièrement en entretien, il spatialise l’évocation du temps avec une confusion telle qu’il dit « à droite », pour « demain », il ajoute : « J’ai moins de désorientation temporelle depuis un mois et demi. Parce que j’ai en moi la notion de Dieu potentiellement existant, ça me donne une sécurité, une meilleure orientation ». Le schizophrène, de même qu’il est dépossédé de l’espace vécu, est dépossédé de son temps vécu, qui en l’occurrence, concernant Pascal, est entre les mains de Dieu. L’espace comme le temps sont sans distance, indifférenciés, discordants et clivés en bon et mauvais.