b) Commentaires sur le cas Olivier

Le cas Olivier manifeste ce que Tatossian appelle une « stagnation du temps intime » (1979, p. 91). L’ennui mélancolique qu’il éprouve le rend incapable de donner le contenu de son choix à un temps transitif, celui du projet. L’ennui existentiel d’Olivier s’apparente à une rupture psychique, sorte de séparation traumatique qui fige toute velléité de projet, et en cela se distingue d’un ennui plutôt névrotique (qui consisterait, pas exemple, à s’ennuyer lors d’une réunion, et à penser à ses vacances à la Martinique. Dans l’ennui névrotique, le lieu et le temps peuvent être affectés et transformés par l’imagination, contrairement à l’ennui existentiel). Dans l’ennui existentiel, la rupture psychique se manifeste par la carence en représentation : il n’y a rien, c’est vécu comme vide.

Olivier présente également une angoisse psychotique, celle de la néantisation, une Lebensangst, qui menace tellement la vie que la mort finit par être attendue, sinon souhaitée. Il s’agit donc d’une attente sans contingence, d’une attente de mort (qui arrivera nécessairement tôt ou tard), qui prend l’allure d’une hantise (Abraham & Torok, 1987). La mort est toujours clivée, sans cesse actualisée. Elle se double d’un sentiment d’incurabilité. Dès lors, la seule question qui devient prégnante est « quand vais-je mourir ? », ce qui laisse l’individu en proie à une attente insupportable : il vaut alors mieux souhaiter une mort rapide et expéditive (ce qui peut en partie permettre de comprendre la brutalité des suicides de type mélancolique). Olivier manifeste aussi une clôture temporelle, avec perte de l’élan vital et du possible. Olivier souffre aussi d’errance spatiale, d’une désorientation massive dans l’espace qui trouve son corollaire dans une spatialisation du temps (donc une désorientation temporelle également). La perte de la continuité est patente, de même que l’anhistoricité chez Olivier.

Les différents temps qui semblent réguler la mélancolie me semblent être les suivants :

Il s’agit d’un temps quasi-automatisé, ce qu’exprime d’ailleurs Olivier lorsqu’il dit « On est tous des robots, comme des automatismes ».

Le Surmoi se manifeste notamment dans des évocations telles que « Ma mère est dans le temps » , ou de façon transférentielle, lorsqu’Olivier craint que je ne l’attaque avec un stylo, ou lorsqu’il me dit être une « femme cruelle » qui écraserait les fourmis comme lui. Cette crainte de sadisme de ma part a pour pendant l’agressivité, sinon la cruauté transférentielle dont il peut faire preuve dans les entretiens avec moi. L’équipe soignante fait aussi œuvre de Surmoi puisqu’Olivier se sent menacé, et constate qu’«  on vous soigne et en fait on vous empoisonne ».

Le temps n’a pas d’ancrage au présent. Dès lors, la linéarité du temps n’est pas prise en compte, comme lorsqu’Olivier dit : « L’âge, ça n’a rien à voir avec la vieillesse ». « On est tous en errance », spatiale comme temporelle, et « On construit l’arche de Noé ensemble », vers un déluge programmé.

Ces temps témoignent de ruptures de l’ordre temporel:

Dans son rapport exacerbé à la mort et au temps figé, la mélancolie semble paradigmatique de ce vide chaotique que l’on retrouve dans les autres psychoses, et qui trouve un dépassement dans la temporalité circulaire du délire.