III.3.3.2. Le cas Aimée

Le cas Aimée est un cas illustre de l’histoire de la psychiatrie, traité par Lacan dans sa thèse de médecine De la psychose paranoïaque et de ses rapports avec la personnalité. Aimée présente un délire paranoïaque : « Le délire qu’a présenté la malade Aimée présente la gamme, presque au complet, des thèmes paranoïaques. Thèmes de persécution et thèmes de grandeur s’y combinent étroitement. Les premiers s’expriment en idées de jalousie, de préjudice, en interprétations délirantes typiques. Il n’y a ni idées hypocondriaques, ni idées d’empoisonnement. Quant aux thèmes de grandeur, ils se traduisent en rêves d’évasion vers une vie meilleure, en intuitions vagues d’avoir à remplir une grande mission sociale, en idéalisme réformateur, enfin en une érotomanie systématisée sur un personnage royal » (Lacan, 1932, p. 158-159).

Ce que je vais présenter du cas Aimée est typique de toute psychose, et confirme la thèse du noyau mélancolique à l’œuvre dans la psychose. De fait, la majeure partie des hospitalisations pour épisodes délirants est due à un deuil ou une rupture, ou même à l’anniversaire d’un deuil ou rupture.

Le début des troubles d’Aimée date de l’âge de vingt-huit ans. Elle est alors mariée depuis quatre ans, et enceinte. Le fait d’être enceinte crée des premières perturbations psychiques et un début de traits dépressifs. Mais ces traits s’aggravent lorsqu’elle accouche d’un enfant mort-né : « Un grand bouleversement s’ensuit chez la malade. Elle impute le malheur à ses ennemis ; brusquement elle semble en concentrer toute la responsabilité sur une femme qui a été trois ans sa meilleure amie. Travaillant dans une ville éloignée, cette femme a téléphoné peu après l’accouchement pour prendre des nouvelles. Cela a paru étrange à Aimée ; la cristallisation hostile semble dater de là » (Op.cit., p. 160).

Une seconde grossesse aggrave l’état d’Aimée, notamment son état procédurier. Elle nourrit désormais l’idée délirante qu’on veut lui arracher son enfant, et présente un délire interprétatif. « Je craignais beaucoup pour la vie de mon fils, s’il ne lui arrivait pas malheur maintenant, ce serait plus tard, à cause de moi, je serais une mère criminelle » (Op.cit., p. 163). Dès lors, le deuil pathologique du premier enfant mort-né entraîne la recherche de coupables externes, qui la représente aussi bien elle-même, en doubles idéalisés (érotomanie), ce qui illustre également la culpabilité mal assumée liée à ce deuil. De là, le délire tourne en boucle et se fixe sur l’actrice Mme Z, témoignant ainsi de la « stagnation dans le flux vital » (Tellenbach, 1961, p. 85), qui caractérise le noyau mélancolique.