III.5.2. La rencontre

Selon Maldiney, « [l]’incapacité de rencontrer est au fondement de la psychose . C’est pourquoi – tout événement étant une rencontre – il n’y a pas d’événement pour un psychotique » (2004b, p. 97). C’est aussi cette impossibilité de rencontrer qui alimente indéfiniment la plainte du mélancolique et la difficulté de la communication à l’autre : « Le rapport des mots et des choses est celui des paroles gelées et des objets perdus dans l’île sonnante de Pantagruel. Le malade essaie toujours d’assurer l’autonomie de sa ville. Les sources d’énergie lui sont intérieures. Et pour maintenir cette autonomie, tous les six mois a lieu une procession qui en fait le tour, retraçant le péribole. Une fermeture radicale, dans la thématisation totale, consacre l’impossibilité de la communication. Ainsi, le délire a reproduit le même type d’impossibilité, d’incapacité à communiquer, que le malade éprouve dans son existence  » (Maldiney, 2001, p. 44).

« Ce qui est décisif, la marque première qui caractérise la psychose , c’est que souvent à ses débuts larvatus prodit, elle s’avance larvée. Plus qu’elle ne se présente de face à l’attention , elle est appréhendée sous la forme d’une rationalité, en quelque sorte sur-exposée qui, comme le dieu de Delphes, ne parle ni ne se tait mais fait signe. Elle donne d’elle, au moment de la rencontre , un signe de malencontre. Nous éprouvons, en effet, quand l’autre est là, une certaine difficulté d’être… en présence de l’autre. C’est bien une difficulté d’être, car elle se double d’une autre qui crée le malaise, à savoir la difficulté de se trouver ou de se retrouver en présence de soi. Cela touche au paradoxe de la rencontre. L’autre, en tant qu’il est soi, ne peut pas être mis à découvert. Il se révèle, ou il ne se révèle pas. Il s’ouvre dans la déchirure de son altérité, que je ne peux pas inventer, qui me frappe d’impouvoir. Il se produit, il apparaît au jour de cette déchirure. Mais il n’apparaît dans la réalité de son visage que dans le regard d’un autre. Or, pour celui qui regarde, il y a deux façons de ne pas voir : la première est celle du regard qui se tient à l’affût, qui cherche à surprendre l’autre sans s’engager lui-même. Il cherche à le prendre au mot, à le prendre par ses points faibles, par sa suggestibilité, etc. Ces signes, dans le réseau desquels on s’efforce de le capter, de le piéger, répondent à un système de possibles répertoriés. Parce qu’il est inséré à une place déterminée dans un système préétabli, l’autre a un sens . On peut lui délivrer sa carte d’identité psychique . Mais il ne faudrait pas la prendre pour une carte d’ipséïté ; car il n’y a pas de carte pour une ipséïté. Ce parti pris d’identité qui ramène tout et chacun au même implique la négation de l’ipséïté selon laquelle l’autre est soi, soi dans son intransigeance, dans sa transcendance propre, que l’on ne peut pas dominer. Il est un autre regard qui également se méprend sur l’autre : c’est le regard enveloppant traversant l’autre sans le rencontrer. Ces deux regards ont quelque chose en commun. Ils se dérobent tous deux à la condition requise pour l’apparaître-en-présence d’autrui, qu’il soit sain ou qu’il soit malade : à savoir que l’épiphanie du visage de l’autre est liée indissolublement à l’autophanie de celui dans le regard duquel il apparaît » (Maldiney, 2001, p. 31-37).