IV.1.2. La symbolisation

Aulagnier (1982) démontre que la pensée d’un éprouvé naît d’une expérience de souffrance mettant en péril les investissements, et consiste à opérer une liaison entre cette souffrance (dont on ne peut nier la présence ni les effets) et une cause pouvant rester support d’investissement. L’on peut supposer qu’il en est de même pour la pensée de l’éprouvé temporel. L’absence de liaison est le signe d’un déficit de symbolisation, manifestant l’existence d’une effraction traumatique. De fait, il semblerait que le délire manifeste une carence en symbolisation, signe d’une « agonie primitive » (Roussillon, 1999), qui mettrait à mal la possibilité de liaison psychique. Comme le souligne Roussillon, pour que la « fonction organisatrice et anticipatrice de l’expérience subjective » (2006, p. 9) soit opérante, il faut que les traces mnésiques d’expériences de satisfaction ou d’insatisfaction puissent être investies dans un travail de symbolisation primaire (celle-ci désigne la toute première forme de symbolisation de l’infans, c’est-à-dire de l’enfant qui n’a pas encore acquis le langage : il s’agirait d’un processus qui transforme l’événement sensoriel en représentation de chose). La symbolisation primaire est aussi le point de départ d’un travail d’historisation car il s’agit pour le sujet de lier ensemble des traces mnésiques à l’interface du corps, de la perception et de l’inconscient. Ce serait précisément ce que le sujet délirant ne pourrait pas faire mais tenterait tout de même à travers le délire (cf. IV.4. infra), qui serait alors une tentative (avortée) de guérison (Freud, 1924), ou de « cicatrisation » (Rosolato, 1964).

C’est d’ailleurs pour cela que la psychose, en vertu de la rupture traumatique, n’est pas dans la dynamique de refoulement de la névrose (qui concerne la symbolisation secondaire). Car dans le refoulement, il y a eu représentation teintée d’affect puis, en second lieu, refoulement. Dans la psychose, la représentation n’a pu s’élaborer ou (a été entravé) car l’affect a franchi un seuil quantitatif : « Le moteur de toute symbolisation serait alors l’affect, mais un affect régi par un seuil quantitatif – la différence de degré engendrerait cette fois une différence de nature : trop peu d’affect n’engendrerait pas de symbolisation, et trop d’affect (dans l’angoisse) empêcherait l’accès à la symbolisation -  » (Bilheran, 2005, p. 30). Ainsi, même lorsque la représentation s’élabore, cette différence de nature de la décharge affective lui barre l’accès à tout lien signifiant et affectif (comme l’illustre l’hypermnésie de Veniamin, cf. V.3.3., infra). Il s’agit donc cette fois d’un traumatisme primaire, et non plus secondaire, et qui influe sur la symbolisation primaire : « L’état de manque se dégrade, il dégénère en un état traumatique primaire » (Roussillon, 1999, p. 19).

En somme, l’accès à la symbolisation nécessite au préalable l’intériorisation d’une temporalité rythmée, sinon mythique (cf. II.2., supra). Il apparaît que cette temporalité mythique seule offre un apprentissage sécure de la séparation, et non une rupture traumatique.