IV.3.3. La Mémoire « déficiente »

Tout le monde connaît des pertes de mémoire, mais à des degrés divers, en fonction des événements traumatiques traversés. L’on peut distinguer notamment les phénomènes de « trou noir », les oublis à court terme, les oublis à long terme, ainsi que les pertes d’objet. Chez des individus « névrosés ordinaires », ces oublis seront toujours mineurs au sens où ils ne briseront pas le lien identitaire de l’individu à lui-même. Ce que j’entends par « lien identitaire » recouvre, à travers le discours des patients sur eux-mêmes, la constitution de l’identité narrative telle que l’entend Ricoeur (1990), et qui permet la continuité mnésique : une « connexion entre événements que constitue la mise en intrigue, qui permet d’intégrer à la permanence dans le temps ce qui paraît en être le contraire sous le régime de l’identité-mêmeté, à savoir la diversité, la variabilité, la discontinuité, l’instabilité » (Op.cit., p. 167-168). Dès lors, dans son récit sur lui-même, l’individu sera toujours capable de sentir ce passé faire sens pour lui et être en continuité avec son actualité. Au contraire, une altération de ce lien identitaire empêche l’appréhension d’une synthèse autobiographique de soi et indique une désorganisation psychique, qu’elle soit mineure ou majeure.

Dans ma pratique clinique, j’ai souvent constaté que cette identité définie par Ricoeur était très problématique dans la psychose. Dans le contre-transfert, j’ai souvent eu l’impression d’une rupture de liens, de discontinuités qui s’illustraient entre autres par les discontinuités mnésiques.