IV.4.2. Le cas Chrystelle

Dès lors, le temps est pris au pied de la lettre : le temps en marche, le temps qui passe, le bonhomme qui marche dans la montre … Le temps, pensée métaphorique, devient pensée concrète.

Chrystelle est une patiente schizophrène, qui a des hospitalisations régulières. Elle présente des sourires immotivés, un mauvais contact, des bizarreries et des incohérences, avec un regard hagard. Son comportement est hermétique, parfois agressif et agité. Elle est souvent muette. Son délire est d’allure paranoïde, avec beaucoup de méfiance, et des thèmes de filiation (elle ne serait pas la fille de sa mère et aurait une autre famille, qu’il serait urgent de retrouver). Elle présente une conviction forte à son délire, avec une dissociation majeure et des troubles alimentaires. Chrystelle n’arrive jamais à l’heure aux rendez-vous, et il peut lui arriver de se tromper de jour. Parfois elle réclame des entretiens sur le champ. Un matin, elle présente un vécu persécutoire sur sa montre, car cette dernière change d’heure tout le temps, ce qui gêne Chrystelle : « Un coup, c’est 9h30, un coup c’est 9h32, un coup c’est 9h37, un coup 8h30 ». Elle a l’air très inquiète de ce manque de fiabilité. Les infirmiers lui expliquent que c’est normal, ce qui ne la convainc pas. Elle trouve plutôt cette montre très étrange et ne veut pas l’avoir avec elle. Elle demande alors à l’équipe soignante de la mettre « en sécurité » : « qu’on me la garde ».

L’infirmière

- Et vous, comment vous ferez pour savoir l’heure si on vous la garde ?

Chrystelle

- Je la demanderai…

De là, Chrystelle se met devant la porte de sortie à 9h30, alors que son rendez-vous est à 11h30. Elle précise qu’elle va attendre, est habillée comme une petite fille, toute mince, avec ses baskets d’allure juvénile, tout en blanc.

Dans cet exemple, on voit bien comment le temps devient le mauvais objet, celui qui suscite un investissement de déplaisir, et comment il est presque personnifié comme une menace.