VI.3.2.2. Arts du mouvement et des sons

Les arts du mouvement et des sons peuvent être par exemple la musique et la danse. Ces deux arts me paraissent d’une efficacité thérapeutique exceptionnelle, dans la mesure où ils opèrent de façon rythmique. Ce n’est pas un hasard, comme le souligne Tellenbach (1955, p. 255), si les fêtes rituelles des civilisations s’organisent autour de la musique et des danses, liées aux rythmes de la nature, de façon périodique (fêtes liées aux saisons, par exemple) : « Ce caractère historial du rythme , insérant complètement l’individu dans l’univers naturel et l’environnement humain, se manifeste également dans les modes de comportement qui surgissent dans le domaine mythique et culturel de la fête : dans la danse, le chant et le verbe poétique » (Op.cit., p. 45).

Dans la musique, la question du tempo est très importante. Le tempo n’est pas l’équivalent de la vitesse, comme le souligne très justement Fernandez-Zoïla (1991d, p. 11-15). Il s’agit en effet d’une allure, d’un style propre à l’œuvre. L’exécution musicale des interprètes se fait dans le mouvement (périodes, par exemple les quatre parties de la symphonie classique : allegro, scherzo, adagio, allegro vivo finale). « Le résultat escompté est celui de parvenir à une rencontre plus intense entre l'oeuvre musicale proposée par les exécutants-interprètes aux auditeurs-potentiels, rencontre qui sait susceptible d'enclencher une présence à soi de l'oeuvre dans son cheminement interne pour atteindre « sa transcendance » à travers la création de la dimension esthétique de l'homme » (Ibid.). Le tempo n’est pas une question de vitesse ou de lenteur, mais d’intensité et de subjectivité. L’articulation en musique de la vitesse d’exécution d’un morceau, et du style offre un double mouvement entre temps mythique (temps circulaire des périodes musicales, de la mesure, du métronome) et le temps social (variations du tempo sur la permanence rythmique, manière d’exécution). La musique, que l’on en soit auditeur ou interprète, est donc un vecteur thérapeutique intéressant, pourvu qu’elle allie ces deux modalités du tempo. Les expériences musicales qui ont été faites auprès de patients psychotiques dans des expérimentations psychiatriques, et qui consistent à faire écouter des pièces de Bach, se sont d’ailleurs révélées étonnantes d’efficacité, du point de vue de l’apaisement de l’angoisse psychique.

Selon Brelet (cité par Fernandez-Zoïla, 1991d, p. 2), « la musique est étrangère au monde des images : se la représenter, c’est l’actualiser, car son être est acte, un acte qui est indivisiblement le sien et le nôtre ». Alors que le temps de la peinture est une temporalité spatialisée, le temps musical est une temporalité-temporalisante. Le temps de la mesure est indispensable à l’exécution, mais la durée intime, le temps-tempo font partie inhérente de la musicalité. Le sujet peut intégrer les variations à partir du moment où la musique est structurée par les périodes et les rythmes  : « L'œuvre musicale contient en soi son temps propre, le TEMPO, qui donne l'existence à son être et à sa forme et hors duquel ils ne sauraient vivre » (Op.cit., p. 7-8). « La musique est une durée concrète, faite de distinctions rythmiques, d'ordre des sons distincts, de décalages, de jeux de timbres; la musique est ainsi une continuité médiate avec des discontinuités réelles ou potentielles. La continuité musicale, c'est bien une continuité médiate, se rompant sur un plan pour se rétablir sur un autre » (Op.cit., p.49). Le créateur-compositeur crée la durée de l’œuvre, et l’auditeur-actif en recrée la musicalité par l’interprétation liée à la réception de l’œuvre. C’est en cela aussi que la musique est un art médiatisé, qui autorise la symbolisation. « Ce temps musical est simultanément immanent et construit par la mise en place des formes esthétiques de la musique dont la reproduction interprétative en nous se fait dans une « allure », un « style » ou mieux dans un « tempo » sui generis, propre et spécifique à chacune de ces formes vivantes et incarnées dans le jeu musical » (Op.cit., p. 55). La recréation interprétative ne peut se faire que dans le temps autonome du sujet, qui intègre ainsi les deux natures de temporalité que nous avons définies. Ainsi, selon Brelet : « l'oeuvre musicale ne se déploie pas dans un temps uniforme qui lui serait extérieur mais elle engendre elle-même le temps musical, indivisible de sa forme et de sa substance. Et le temps vrai d'une oeuvre, c'est celui, précisément, qui dérive de sa structure, sonore et rythmique , et de la qualité même de sa substance musicale ».