A - Généralités

Les travaux réalisés sur le thème de la litéracie émergente décrivent généralement les comportements observés dans les domaines suivants :

  • - le langage oral : Les habiletés de langage oral renvoient au vocabulaire et à la compréhension des usages et des conventions du langage parlé. Whitehurst et al., (2001) observent que les jeunes enfants présentant des compétences élevées en ces domaines réussissent le mieux en lecture. Foorman, Anthony, Seals, & Mouzaki (2002) considèrent le langage oral comme le fondement même de la litéracie émergente : le développement du langage oral n’est pas soumis à celui de la litéracie émergente mais le détermine.
  • - les habiletés phonologiques : l’enfant comprend que le mot parlé est composé d’unités telles les syllabes, les unités infrasyllabiques. Il développe l’habileté à repérer puis isoler les éléments de la parole qui constituent un mot parlé. La capacité des enfants d’âge préscolaire à compter les syllabes d’un mot ou à détecter des rimes a souvent été mise en évidence (Gombert & Colé, 2000). Ces comportements ne relèvent pas d’un contrôle conscient exercé par l’enfant à partir de ses connaissances sur ses propres opérations de traitement linguistique mais signale l’intervention de processus épilinguistiques (Gombert, 1990).

L’influence de cette compétence linguistique précoce sur l’apprentissage de la lecture est reconnue par de nombreux auteurs (Adams, 1990 ; Bertelson, Morais, Alegria, & Content, 1985 ; Goswami & Bryant, 1990).

  • - la conscience des propriétés spécifiques de l’écrit : cette habileté concerne la compréhension que l’écrit porte une signification, que les mots écrits correspondent aux mots parlés, que lecture et écriture s’exercent de gauche à droite et du haut vers le bas de la page et la prise en compte d’autres caractéristiques physiques de l’écrit : savoir ce que sont une page, un mot, une ligne, savoir comment procéder pour lire… Faire semblant de lire constitue une forme émergente de l’alphabétisation conventionnelle (Teale et al., 1986). L’acquisition des propriétés du mot écrit, sans aucune relation avec la phonologie, suppose que l’enfant comprenne progressivement la nécessité, pour les lettres le constituant, d’être présentes et strictement ordonnées. La pertinence de l’orientation des lettres et la maîtrise de leur ordre constituent les premières acquisitions nécessaires à l’apprentissage de la lecture (Bastien & Bastien-Toniazzo, 1993).

Les différences inter-individuelles observées au niveau des habiletés phonologiques et des connaissances des propriétés de l’écrit demeurent stables au-delà de cette période (Burgess & Lonigan, 1998 ; Lonigan, Burgess, et al., 2000 ; Wagner, Torgesen, Rashotte, Hecht, Barker, Burgess, Donahue, & Garon, 1997) et prédisent l’entrée dans la lecture et l’écriture (Lonigan, Burgess et al., 2000).

Ces connaissances épilinguistiques à la fois visuelles et phonologiques constituent des précurseurs dont Bastien-Toniazzo & Jullien (2001) ont montré que leur absence entrave sérieusement l’apprentissage scolaire.

  • - le principe alphabétique : il constitue le déterminant commun à toutes les langues alphabétiques qui utilisent les lettres comme éléments graphiques pour symboliser les sons élémentaires lesquels composent les mots articulés et entendus à l’oral (Sprenger-Charolles & Colé, 2003). Treiman, Tincoff, Rodriguez, Mouzaki, & Francis (1998) ont mis en évidence l’aspect prédictif des connaissances précoces du nom des lettres et de leur(s) valeur(s) phonémique(s) correspondante(s), premier reflet du principe alphabétique, sur la réussite en lecture.
  • - le développement de l’écriture : l’enfant se livre à des actes de production : tracés d’apparence graphique variée se distinguant du dessin, griffonnage, pseudo-lettres, lettres puis orthographe inventée pour tenter d’écrire un mot. Gombert et Fayol (1992) ont étudié la différenciation progressive entre dessin et écriture auprès des jeunes enfants : à trois ans, ils tracent des lignes ondulantes; ils ont alors acquis la direction (gauche-droite) et la linéarité (tracés continus) de l’écriture. Entre trois et quatre ans, ces tracés se caractérisent par des séquences de ronds et par l'apparition de pseudo-lettres. Enfin, vers quatre ans, les enfants commencent à produire des lettres. Ces expériences sont à considérer comme des activités constitutives du processus d’acquisition de la langue écrite.

Ces différents composants de la litéracie émergente déterminent la réussite de l’apprentissage de la langue écrite (Richgels, 2002 ; Snow, Burns, & Griffin, 1998 ; Whitehurst & Lonigan, 2002).

Mason et Stewart (1990), Whitehurst et Lonigan (1998) ont répertorié les comportements spécifiques de la litéracie émergente et en proposent deux systèmes de classification. Chacun de ces systèmes catégorisent ces comportements en une série de composants.