1. Influence de l’environnement sur la litéracie émergente

La lecture partagée de livres d’histoires représente le prototype de la litéracie familiale dans la mesure où cette activité constitue une source riche d’information et une opportunité pour les enfants d’apprendre le langage dans un contexte favorable. Wells (1985) constate que 5 % du langage oral quotidien des enfants de deux ans s’exercent dans le cadre de la lecture d’histoires. La lecture partagée et l’exposition à l’écrit nourrissent le développement du langage oral (Sénéchal et al., 1998) et du vocabulaire des enfants d’âge préscolaire (Sénéchal, Thomas, & Monker, 1995) de même que le nombre de livres disponibles à la maison, la fréquentation des bibliothèques et l’exposition à l’écrit des parents (Sénéchal, LeFevre, Hudson, & Lawson, 1996). En revanche, Payne, Whitehurst, & Angell (1994) observent que la litéracie des adultes (par exemple, temps d’un parent consacré à la lecture plaisir) n’est pas reliée significativement au langage des enfants, lequel est davantage prédit par les activités impliquant directement ces derniers (fréquence de la lecture partagée, des fréquentations de l’enfant des bibliothèques, nombre de livres d’enfants à la maison).

Les conséquences positives de la lecture au jeune enfant, les bénéfices ultérieurs qu’il peut en tirer, ont fait l’objet de nombreuses recherches dans le domaine du développement de la litéracie émergente, du développement du langage et dans la maîtrise de la lecture. La lecture d’histoires est probablement l’activité la plus recommandée par les chercheurs et les enseignants de par son pouvoir facilitateur de l’apprentissage de la lecture (Purcell-Gates, 2000). Elle parait constituer à la maison, l’activité la plus fréquemment proposée aux jeunes enfants, comparée à la lecture de magazines ou de livres éducatifs préscolaires et sa fréquence dépend du niveau socioculturel (90 % des parents de milieu favorisé disent pratiquer cette activé vs 52 % des parents de milieu défavorisé (Baker, Serpell, Sonnenschein, Fernandez-Fein, & Scher, 1994). Baker (1999) observe que la fréquence de lecture d’histoires améliore les connaissances de la litéracie émergente et indirectement prédit l’activité de lecture ultérieure et le développement de la litéracie (Baker et al., 2001).

Selon Halle, Calkins, Berry, & Johnson (2003), la lecture à haute voix dans un style interactif qui engage l’enfant comme lecteur est une stratégie des plus efficaces dans le développement de la litéracie émergente. Cette stratégie est proche du programme de lecture partagée Dialogic Reading mis au point par Whitehurst, Arnold, Epstein, Angell, Smith et Fischel (1994). Contrairement à la lecture partagée classique, l’enfant apprend à devenir lecteur d’histoire. L’adulte écoute, questionne, apporte des informations et sollicite des descriptions de plus en plus précises. Aux enfants de deux à trois ans, il est demandé de décrire les objets, les actions et les situations figurant dans une page. Les enfants de quatre à cinq ans répondent à des questions incitant à la narration du livre ou portant sur les relations entre le livre et la vie de l’enfant. Cette technique de lecture partagée influence davantage le développement des habiletés langagières que ne peut le faire la lecture simple d’un livre d’images (Whitehurst et al., 2001). Après une intervention auprès d’enfants de milieu défavorisé à qui ont été proposées six fois par semaine des situations de Dialogic Reading, Whitehurst, Epstein et al., (1994) observent des améliorations sensibles du langage qui persistent six mois après. Lors d’une intervention similaire, Whitehurst (1997a) observe des effets significatifs sur le langage, les concepts de l’écrit, l’écriture mais aucune influence sur la conscience phonologique d’une population d’enfants de quatre ans.

Dans une étude conduite auprès d’enfants âgés de quatre à six ans issus de milieux sociaux peu favorisés, Purcell-Gates (1996) observe que, dans les familles où se produisent les situations de litéracie partagée de plus haut niveau (lecture et écriture de textes), les enfants présentent les connaissances les plus précises des usages et fonctions de l’écrit, du registre du langage écrit et de ses conventions. La motivation pour l’écrit semble également le produit des expériences précoces de lecture partagée (Lonigan, 1994 ; Bus, van Ijzendoorn, & Pellegrini, 1995). Lonigan, Dyer, & Anthony (1996) ne décrivent pas de liens entre fréquence des lectures partagées et développement des habiletés phonologiques mais une relation entre ce dernier et l’engagement des parents dans des activités de litéracie. Par exemple, l’attention attirée par les parents sur les rimes, intervient sur l’habileté des enfants à les détecter, favorisant ainsi le développement d’une sensibilité phonologique. De même, les connaissances des enfants d’âge préscolaire tels que concepts de l’écrit, connaissance des lettres, orthographe inventée sont associées aux tentatives d’enseignement de la part des parents (Sénéchal et al., 1998) ainsi qu’à la lecture de livres de comptines ou d’abécédaires qui favorisent davantage les échanges liés à l’écrit que ne le font les livres d’histoires (Munsterman & Sonnenschein, 1997). Bus et van Ijzendoorn (1988) constatent chez des enfants âgés de trois à cinq ans des manifestations de comportements de lecteurs débutants lorsqu’ils partagent un abécédaire avec leur mère : tentatives d’épellation de mots ou d’identification de lettres.

En fonction de leur nature, les activités familiales autour de l’écrit interviennent diversement sur le développement des habiletés et des connaissances impliquées dans l’acquisition de la langue écrite. La lecture partagée d’histoire participe au développement du vocabulaire et à la familiarisation des conventions régissant l’écrit ; l’enfant s’imprègne des formes syntaxiques et grammaticales et autres contenus de la langue écrite sans impliquer une prise de conscience de l’écrit. En revanche, la lecture de livres tels les abécédaires favorise plutôt le développement des connaissances alphabétiques et des connaissances des fonctions de l’écrit  et de ce fait constitue un meilleur prédicteur de réussite en lecture que les livres d’histoires.

La manière et la fréquence avec lesquelles les jeunes enfants sont confrontés formellement ou informellement à l’écrit détermine le niveau de langage et de litéracie émergente (Fritjers et al., 2000).

On peut donc s’attendre à ce que les enfants qui n’interagissent que rarement avec l’écrit rencontrent plus de difficultés dans l’acquisition de la litéracie que leurs pairs qui ont davantage l’opportunité de le faire.