V - Soutenir le développement de la litéracie émergente

Durant ces dernières années, certains auteurs se sont donnés pour objectif de déterminer les pratiques dont l’application par les parents et les éducateurs permet d’enrichir les expériences de litéracie préscolaires (Snow et al., 1998). La plupart des actions décrites ci après, impulsées auprès des parents tentent de renforcer les liens parents-enfants autour de l’écrit.

Considérant qu’une simple intervention peut être efficace si elle est intensive, McCormick et Mason (1986) ont conduit deux expérimentations évaluant l’intérêt de fournir à des enfants préscolaires de milieu défavorisé et de classes moyenne des petits livres, Little Books (petits livres, faciles à manipuler et à appréhender avec mots simples et textes répétés). Dans la première expérimentation, les enfants reçoivent tout d’abord un livre et leurs parents, des livres supplémentaires accompagnés d’indications pour la lecture, puis d’autres livres leur sont envoyés à la maison durant tout l’été. En début et fin d’année suivante, les mesures portant sur les connaissances des mots, de l’orthographe et le nombre de mots lus contenus dans ces livres indiquent des scores supérieurs dans le groupe expérimental. Dans la seconde étude, limitée à la seule attribution du premier livre, non suivie d’envois, les progrès ne portent que sur le nombre de mots identifiés.

Neuman et Roskos (1993) constatent des effets positifs liés à l’aménagement de coins jeux autour de l’écrit, dans des Head Start 3 , sur l’amélioration des comportements de litéracie évalués à partir de trois mesures. Ces dispositifs ont fourni aux participants, trois jours par semaine et durant cinq mois, l’opportunité de manipuler l’écrit sous diverses formes (étiquettes, écrit fonctionnel comme calendrier, annuaires téléphoniques…) et du matériel pour écrire. Ces coins étaient animés par des adultes (parents) interagissant (1er groupe expérimental : l’adulte intervient dans les activités) ou non (2ème groupe expérimental : l’adulte se limite à observer les jeux et comportements) avec les enfants. Les enfants du groupe contrôle ont accès librement dans leur classe à une dizaine de livres mais aucun matériel pour écrire n’est disponible. Les scores des deux groupes expérimentaux sont plus élevés dans la tâche portant sur les marques des écrits fonctionnels que ceux du groupe contrôle mais similaires dans la tâche de description des fonctions de l’écrit. Dans la tâche portant sur l’environnement écrit, les deux groupes expérimentaux obtiennent également des scores plus élevés que le groupe contrôle avec des performances supérieures pour le groupe expérimental "adulte actif".

Dans le cadre de leur intervention, Early Access to Success in Education, Jordan, Snow, & Porche (2000) se donnent pour objectif d’augmenter la fréquence et la qualité des interactions linguistiques par le biais d’activités centrées sur le livre et de fournir aux parents une information (sur la façon de développer le vocabulaire, la reconnaissance des lettres et la conscience des sons, la compréhension du récit, le rappel de ce récit et la compréhension d’une présentation) et l’occasion de s’engager dans le développement des compétences de litéracie de leurs enfants. Les parents de 248 enfants de GS ont participé à ce programme expérimental comportant des sessions d’éducation des parents, des activités parents-enfants à l’école et des activités de médiation du livre à la maison. En fin d’intervention, les enfants dont les parents se sont engagés dans ce programme obtiennent des résultats significativement supérieurs aux enfants du groupe témoin dans les épreuves de vocabulaire, de compréhension d’histoire et de structuration des histoires racontées. Ce sont les enfants peu performants présentant des compétences linguistiques faibles au prétest et bénéficiant d’un fort soutien en litéracie à la maison qui ont profité le plus de ce programme.

Cadieux et Boudreault (2005) ont examiné les effets d’une intervention précoce visant l’apprentissage du nom et de la valeur phonémique des lettres dans le contexte d’un enseignement individualisé impliquant le parent et son enfant. Les 70 sujets (âge moyen de 4,1 ans) sont des élèves à risque (sélectionnés à l’aide du Test sur les habiletés scolaires de Otis-Lennon) et reçoivent tous le même abécédaire. Ils sont répartis en deux groupes selon que le parent reçoit ou non une formation quant à l’utilisation de cet abécédaire avec son enfant. Les résultats indiquent un effet de cette formation sur le développement des habiletés phonologiques (le groupe expérimental réalise des gains significativement plus élevés que le groupe témoin) ainsi qu’une amélioration des connaissances relatives aux lettres pour tous les enfants mais sans différence significative entre groupe expérimental et groupe témoin.

En résumé, l’efficacité des interventions destinées à renforcer les composants de la litéracie émergente, malgré quelques réserves, est indéniable et met en évidence l’effet de l’environnement sur le développement des processus cognitifs et celui des connaissances. Plus encore que le contact avec l’écrit, la qualité des interactions enfants-parents et l’implication de ces derniers dans les activités d’accompagnement autour de l’écrit semblent déterminer les processus impliqués dans l’activité de lecture. Cependant, les résultats encourageants s’observent essentiellement dans le cadre de ces programmes d’intervention. Par exemple, Byrne et Fielding-Barnsley (1995) observent des effets sensiblement réduits et un fort degré de variabilité dans la fidélité de leur programme d’entraînement phonologique appliqué dans des conditions non expérimentales. Hieber et Taylor (2000) constatent que la plupart des programmes d’intervention précoce obtiennent des effets positifs à court terme qui ne se maintiennent pas au fil des années.

Notes
3.

Programme crée en 1965 qui s’adresse aux enfants de trois à cinq ans et vise à la réussite de leur scolarité