Chapitre 2 : Les facteurs conatifs impliqués dans l’apprentissage de la lecture

L’expérience que l’enfant vit à la maison, liée notamment aux pratiques culturelles relatives à la lecture, intervient sur le développement des habiletés précoces de litéracie. Les travaux relatifs à l’environnement de l’écrit, au print exposure soulignent l’influence du contexte éducatif ainsi que le rôle des interactions parents-enfants dans les premiers contacts avec l’écrit. Ce sont les caractéristiques respectives de ce contexte et des interactions entre l’enfant et celui-ci qui constituent des composantes permettant de mieux comprendre le fonctionnement cognitif de l’enfant futur lecteur. Cependant, l’acquisition de la langue écrite ne signifie pas seulement apprendre à lire et à écrire à travers la maîtrise du code alphabétique ; c’est aussi s’identifier en tant que membre d’une communauté de lecteurs et le désirer. Selon certains chercheurs, un niveau de motivation élevé à l’égard des activités reliées à l’écrit est le principal facteur qui incite l’enfant à s’investir pleinement dans l’apprentissage de la litéracie (Snow, Tabors, Nicholson, & Kurland, 1994).

Ainsi, les processus d’acquisition de la langue écrite incluent outre les aspects cognitif et social une troisième dimension conative : la motivation.

Qu’est ce qui motive l’enfant à s’engager dans ce processus d’acquisition ? Comment s’acquiert cette motivation et par quels facteurs personnels et situationnels peut-elle être affectée ? Les jeunes enfants progressent avec plus ou moins d’aisance dans l’apprentissage de la lecture. L’intérêt précoce qu’ils manifestent ou pas pour les livres, pour les situations autour du livre participe-t-il à la compréhension de ces différences individuelles ?

De nombreuses recherches ont étudié l’influence des expériences de la litéracie à la maison sur la motivation des enfants. Outre la fréquence des activités autour de la lecture et plus encore leur nature, les auteurs s’intéressent à l’impact des croyances parentales, et à l’influence de leurs représentations de l’apprentissage de la lecture, de la finalité de lire, sur la motivation de leurs enfants (DeBaryshe, 1995 ; Sonnenschein, Baker, Serpell, Scher, Fernandez-Fein, Munsterman, 1996). Wigfield & Asher (1984) suggèrent que la maison prédit davantage le désir et les habiletés engagés dans la réussite scolaire que l’école elle-même.

D’autres travaux mettent en évidence l’effet de la motivation et/ou de l’intérêt manifestés précocement pour les livres sur le développement ultérieur de la litéracie et la réussite dans l’apprentissage de la lecture (Baker, Dreher, & Guthrie, 2000 ; Baker & Wigfield, 1999 ; Dunning, Mason, & Stewart, 1994 ; Snow et al., 1998). Van Kraayenoord & Schneider (1999) ont montré que l’acquisition de stratégies de lecture efficientes n’est pas suffisante pour aider les élèves à devenir de bons lecteurs ; il faut encore que ces derniers les utilisent et le recours à ces stratégies combine à la fois habiletés et volonté. La dimension volutionnelle constitue un facteur important influençant les processus cognitifs et les comportements de lecture. Ces auteurs mettent en évidence une faible motivation intrinsèque chez les élèves mauvais lecteurs: ces derniers peuvent apprendre des stratégies de lecture mais ne les utiliseront que s’ils sont motivés. Des recherches récentes ont montré que, corollaires aux habiletés linguistiques et cognitives, des facteurs motivationnels contribuent également à l’acquisition de la lecture (Hagtvet, 2000 ; Onatsu-Arvilommi & Nurmi, 2000). Dans des programmes d’intervention, l’analyse des effets d’un entraînement spécifique destiné à promouvoir la réussite en litéracie, a permis d’isoler un groupe de "résistants au traitement" composé d’enfants n’ayant que très peu bénéficié de l’enseignement explicite phonologique proposé (Niemi, Kinnunen, Poskiparta, & Vauras, 1999 ; Torgesen, Wagner, Rashotte, Rose, Lindamood, & Conway, 1999). Cette résistance à l’entraînement s’avère associée à des facteurs motivationnels ou à des facteurs scolaires comportementaux tels que l’évitement et l’abandon de la tâche qui ne sont pas en partie de nature cognitive (Lehtinen, Vauras, Salonen, Olkinuora, & Kinnunen, 1995 ; Torgesen et al., 1999).

Certains auteurs supposent qu’il y a interaction, dans leur développement respectif, entre les facteurs motivationnels et cognitifs avant l’enseignement formel de la lecture (Salonen, Lepola, & Niemi, 1998) mais aussi pendant l’apprentissage de la lecture (Lepola, Salonen, & Vauras, 2000). Ces derniers suggèrent l’existence d’une causalité réciproque entre cognition et conation : « skill feeding will and will feeding skill » (ibid, p. 175).

Attitude, motivations, intérêt : que recouvrent ces différents termes ? Après quelques précisions sur leur signification respective, nous nous intéresserons aux diverses recherches portant sur la motivation précoce, son origine et ses effets sur l’apprentissage de la lecture.