A - Les croyances parentales

DeBaryshe (1995) a testé la causalité dans la relation entre les croyances maternelles relatives à la lecture, les pratiques familiales de la litéracie, l’intérêt et les résultats des enfants. Les mères obtenant le score le plus élevé sur l’échelle des croyances élaborée par cet auteur souscrivent à l’idée que la lecture de livres doit être une activité motivante et centrée sur l’enfant. Elles estiment que privilégier la signification de ce qui est lu durant la période préscolaire est plus important que de mettre l’accent sur des habiletés impliquées dans la maîtrise du code alphabétique, et enfin que les enfants ont besoin d’un moment d’échange quotidien autour d’un livre. L’étude révèle l’existence d’un lien de causalité entre les croyances maternelles et les pratiques de lecture ainsi qu’un lien similaire entre ces mêmes croyances et l’intérêt des enfants pour la lecture. En revanche, les pratiques de lecture ne semblent pas prédire l’intérêt pour la lecture. La croyance d’une lecture envisagée par les parents comme un plaisir participe à l’intérêt et suscite la motivation de leurs enfants pour apprendre à lire.

Les croyances sur la lecture et son apprentissage interviennent dans le choix des activités que les parents proposent à leurs enfants et la façon dont ils vont interagir ensemble lors de ces activités (Sonnenschein & Schmidt, 2000). Les aides et le soutien qu’ils apportent à leurs enfants dans l’apprentissage de la lecture et qui influencent le développement de la litéracie découlent également de ces croyances.

Selon le niveau d’études, les parents estiment que les habiletés en lecture s’acquièrent dans le cadre d’un enseignement traditionnel (niveau d’études faible) ou alors (niveau d’études plus élevé), évoquent plutôt une approche centrée sur l’enfant, sur son développement personnel (Stipek, Milburn, Clements, & Daniels, 1992). Ils accordent alors respectivement plus d’importance aux fonctions scolaires traditionnelles d’instruction (acquisition de savoirs élémentaires) ou mettre davantage l’accent sur les fonctions plus larges de formation cognitive (ouverture et culture de l’esprit). Ces mêmes parents proposeront des activités à la maison différentes, en cohérence avec leurs croyances (par exemple, cahier de travail vs activités plus ludiques autour du livre).

On retrouve ces différentes croyances selon le milieu socioculturel : les parents de milieu socio-culturellement déprivé estiment qu’une approche didactique est le moyen le plus adapté pour acquérir les habiletés de base de la lecture (Stipek et al., 1992) alors que les parents de milieu plus favorisé sont davantage sensibles à la qualité émotionnelle du contexte dans lequel se déroulent les interactions. Ces derniers jugent qu’il est important de capter l’intérêt de l’enfant préscolaire et pour se faire de l’engager dans des activités de lecture variées et agréables dans un cadre informel et/ou ludique.

Cependant, mettre l’accent sur les "habiletés techniques" n’est pas une caractéristique propre aux familles socio-défavorisées ; une telle approche peut également refléter des notions éducatives et s’inscrire dans des représentations sur le développement partagées par des parents de tout milieu : penser que le jeune enfant a besoin d’acquérir certaines habiletés pour être prêt à apprendre à lire lorsqu’il entrera à l’école élémentaire. Par ailleurs, Sonnenschein, Baker et al., (1996) notent que même dans les milieux défavorisés, les enfants dont les parents favorisent l’aspect divertissant de la lecture s’approprient précocement la litéracie.

De toute évidence, les croyances parentales "impactent" non seulement les pratiques mais également les motivations de leurs enfants. Les parents qui attribuent une dimension agréable à la façon dont les enfants apprennent à lire tendent à proposer des situations et des activités de nature à ce que les enfants perçoivent eux aussi l’aspect plaisant de cet apprentissage. Sonnenschein, Baker, Serpell, et Schmidt (2000) soulignent la pertinence d’associer la litéracie et le jeu, lien qui génère une attitude positive de l’enfant face à la lecture et l’écriture, source de motivation pour parvenir à la maîtrise de la langue écrite.