B - Pratiques et motivation

Lorsque les parents partagent la lecture d’une histoire avec leurs enfants, ils leur montrent qu’ils attribuent une certaine valeur à la lecture et leur signifient que cette activité est plaisante. «L’intérêt pour la lecture n’est pas un phénomène naturel mais plutôt suscité par le plaisir de partager un livre avec le parent. L’enfant devient intéressé par la lecture de livres grâce aux efforts des parents à susciter et supporter cet intérêt (Bus et al., 1995, p. 998, notre traduction). Ces auteurs ajoutent que la litéracie n’est pas le résultat d’un environnement enrichi de matériel écrit mais qu’elle dépend fortement de l’habileté parentale à impliquer le jeune enfant dans des expériences autour du livre.

Considérant l’aspect motivationnel, ce n’est pas la fréquence des lectures en elle même qui semble susciter l’intérêt (Scher & Baker, 1996 ; Fritjers et al., 2000) mais le contexte socio-émotionnel (Sonnenschein & Munsterman, 2002) dans lequel se déroulent les interactions autour du livre, d’où la nécessité de prendre en compte certains indices qualitatifs des expériences. La lecture partagée offre l’opportunité à l’enfant d’une interaction positive, douce avec ses parents, souvent associée à un contact physique réconfortant (Wigfield & Asher, 1984). Dans de telles conditions, l’enfant appréhendera la lecture favorablement car il associera les expériences autour du livre à des interactions agréables.

Ce n’est donc pas seulement l’acte de lire une histoire qui est essentiel mais la qualité affective des interactions et la nature des échanges entre l’enfant et le lecteur.

Baker, Mackler, Sonnenschein, et Serpell (2001) notent que l’atmosphère affective observée lors d’interactions entre des enfants de CP et leur mère est reliée à la fréquence de lecture de chapitres de livre de ces mêmes enfants scolarisés en CE1 et CE2, lecture qui prédit à son tour la compréhension ultérieure. Ces auteurs suggèrent que c’est la qualité affective des interactions qui a nourri l’intérêt des enfants pour de telles pratiques. De même, ce sont les enfants dont on relève en GS, l’expérience de telles interactions qui présentent les attitudes les plus favorables à l’apprentissage de la lecture lorsqu’ils sont en CP (Sonnenschein et al., 2002).

La nature des échanges verbaux quant à elle, joue un rôle dans la consistance et la qualité de cette atmosphère. Bus, Leseman, et Keultjes (2000) observent que les parents pratiquant peu eux-mêmes la lecture sont moins enclins à initier une discussion qui pourrait agrémenter le texte lu ou le rendre plus compréhensible. Baker, Mackler et al. (2001) montrent que les types de propos échangés au cours d’interactions entre les mères et leurs enfants scolarisés en CP déterminent la qualité affective : une discussion basée sur l’écrit, par exemple, avec des parents qui attendent de leurs enfants le recours à des stratégies de décodage pour identifier des mots inconnus, contribue à créer une interaction affectivement négative. Si l’enfant rencontre des difficultés et nécessite de l’aide pour reconnaître des mots, il trouvera l’expérience plus déplaisante que gratifiante et ceci ne manquera pas d’implications à long terme sur la motivation et la réussite ultérieure.

Une interaction positive est associée à un échange portant sur la signification de l’histoire lue ; lorsque l’interaction se fait sur la base d’un engagement attentif des lecteurs dans le texte et lorsque ceux-ci utilisent le texte pour canaliser et soutenir l’écoute. Sonnenschein et al., (2002) suggèrent que la nature des commentaires lors de la lecture d’histoires, dépend de la familiarité du texte ; ils observent ainsi peu de propos relatifs aux habiletés liées à l’écrit dans la situation de lecture de livres familiers.

Divers facteurs intervenant dans ce contexte social particulier sont sans aucun doute également à prendre compte : le rôle de l’enfant dans la sélection du texte à lire, la qualité du contenu : intéressant ou non, d’accès facile ou difficile à la compréhension.

S’agissant des situations autour du livre, autres que la lecture d’histoires, Baker et Scher (2002) indiquent que la motivation pour lire n’est pas plus associée à la fréquentation des bibliothèques (contrairement aux conclusions de Greaney & Hegarty, 1987, pour qui cette fréquentation constitue un fort prédicteur de la motivation) qu’elle ne l’est à l’utilisation de livres "techniques" comme les livres abécédaires. Pour Roskos et Christie (2000), c’est la nature de l’interaction qui est déterminante et non la spécificité de l’activité proposée, dès lors qu’elle revêt un caractère ludique.