III - Motivation et apprentissage de la lecture

Des études longitudinales mettent en évidence l’influence de l’intérêt précoce pour la lecture sur sa réussite ultérieure. Ainsi Olofson et Niedersoe (1999) indiquent que les enfants pour lesquels les parents évoquent peu d’intérêt manifesté par leurs enfants avant l’âge de cinq ans, pour les livres et la lecture d’histoires, présentent des habiletés fragiles en CM1. Weinberger (1996) observent que les enfants âgés de sept ans qui rencontrent des difficultés dans l’acquisition de la lecture sont ceux qui n’avaient pas de livre favori à l’âge de trois ans et à qui les parents lisaient le moins fréquemment à l’âge de cinq ans. Lonigan, Dyer, & Anthony (1996) montrent que l’intérêt précoce manifesté pour la lecture prédit la conscience phonologique à l’âge de 4-5 ans puis à l’âge de 5-6 ans contrairement à Whitehurst (1996) qui décrit une relation faible entre cet intérêt, la conscience phonologique et la connaissance des lettres.

Scarborough, Dobrich & Hager (1991) ont évalué l’intérêt pour les livres auprès d’enfants de 3 ans, 3,6 ans et 4 ans en questionnant les parents sur la fréquence avec laquelle leurs enfants se divertissent seuls avec des livres et leur réussite ultérieure en lecture : les enfants mauvais lecteurs en CE1 sont ceux qui à tout âge manipulaient le moins de livres comparés à ceux qui sont devenus de bons lecteurs.

Plus précisément, certaines études ont cherché à analyser la dynamique de développement de facteurs linguistiques et motivationnels ainsi que leur rôle respectif de prédiction dans l’acquisition de la lecture. Ainsi Lepola, Poskiparta, Laakkonen, & Niemi (2005) étudient les relations développementales entre connaissance des lettres, conscience phonologique, rapidité à dénommer et motivation auprès d’une population de 100 enfants finlandais suivis de la maternelle au CP et la réussite ultérieure en lecture de mots. Les conclusions indiquent que d’une part, les enfants présentant le meilleur niveau de ces habiletés de prélecture sont ceux qui s’adaptent le mieux au cadre d’apprentissage de GS et de CP, c'est-à-dire, qui interprètent les demandes croissantes (en fréquence et en difficulté) des programmes scolaires comme un challenge et y répondent par une attitude positive. D’autre part, les enfants disposant de prérequis fragiles pour la lecture ou manifestant une task orientation (degré de motivation évalué par les enseignants) faible s’engagent dans l’apprentissage de la lecture et le poursuivent avec une task orientation décroissante si enseignants et parents n’ajustent pas leur pédagogie et leur soutien de manière optimale. En outre, Task orientation prédit la conscience phonologique ultérieure (un enfant motivé développera l’habileté à maintenir concentrée son attention sur la forme orale d’un mot indépendamment de sa signification ; Hagtvet, 2000) suggérant ainsi que l’attitude face à la tâche promeut l’acquisition de cette compétence et qu’il existe une interaction précoce entre motivation et habiletés émergentes de lecture. La capacité à identifier des mots ne semble pas déterminée seulement par des facteurs cognitifs et linguistiques ; la variabilité observée dans les performances en lecture est également co-déterminée par le développement de cette attitude face à la tâche. En fait, les résultats indiquent que les enfants en GS présentant les connaissances des lettres les plus élevées obtiennent également les meilleures performances en dénomination rapide, témoignent d’une conscience phonologique des plus éveillée, progressent le plus en ce domaine et manifestent une task orientation marquée en GS comme en CP, qui à son tour prédit l’efficience en lecture au CP.

Les résultats de cette étude ne présentent pas les problèmes de motivation comme étant les conséquences de difficultés d’apprentissage de la lecture. Les pré requis cognitifs et linguistiques ainsi que les tendances motivationnelles participent précocement aux trajectoires individuelles de cet apprentissage et cela bien avant l’enseignement formel de la lecture. Järvëla, Salonen et Lepola (2002) ont dressé une esquisse des mécanismes probables intervenant dans l’acquisition de la lecture. Une task orientation élevée suggère la motivation de l’enfant à initier, maintenir et réguler une activité dirigée vers un objectif laquelle coordonne et organise les objectifs intermédiaires propres à l’activité d’apprentissage. Une telle attitude facilite l’acquisition d’habiletés et favorise l’automaticité de la reconnaissance de mots. Au contraire, une task orientation faible renvoie soit à un déficit de tension motivationnelle à maintenir une activité efficiente soit à une compétition engagée dans des domaines externes à cette activité qui en désorganise la cohérence et la synchronisation gênant ainsi la formation d’automatismes propres à alléger la charge cognitive du décodage et de la compréhension en lecture.

Comme le soulignent Guthrie et Wigfield (2000), la motivation est ce qui active le comportement. Ainsi, l’enfant le plus à même d’apprendre ou disposant de toutes les habiletés requises peut ne pas s’engager dans l’apprentissage s’il lui manque la motivation pour le faire.

Grandir dans un milieu familial qui soutient l’idée que lire est une source de divertissement et de plaisir aide l’enfant à développer des représentations positives sur la lecture et le désir de lire (Roskos & Christie, 2000). Quand un enfant fait l’expérience d’interactions agréables avec les livres, il réalise que lire peut procurer un certain plaisir. Les enfants ainsi motivés qui envisagent la lecture comme une activité plaisante et valorisante choisiront de lire seuls ; et cette activité indépendante, initiée par l’enfant constitue à la fois un indice comportemental de motivation émergente pour la lecture et un prédicteur puissant de la réussite de la lecture (Baker, Scher et al., 1997). Les données issues de l’étude Early Childhood Project (Baker, Serpell et al., 1994) indiquent selon les indications des parents, que 78% des enfants (prekindergarden) issus de milieu favorisé s’adonnent seuls à la lecture ou de leur propre initiative vs 34 % des enfants de milieu socio défavorisé. On retrouve la même différence significative auprès d’enfants scolarisés en CP: 52% vs 10%.

Apprendre à lire est de toute évidence facilité par l’intégration de l’aspect plaisant et de la valeur attribués à la lecture mais aussi par la perception que l’enfant a de lui-même en tant qu’individu qui veut et qui est capable de devenir lecteur. Motivation et apprentissage n’entretiennent pas que des relations linéaires (motivation →apprentissage). La motivation n’est pas seulement à considérer comme un prérequis, une condition préalable à l’acte d’apprendre mais aussi comme un facteur interagissant avec l’activité d’apprentissage en elle-même. La plupart des enfants démarre dans l’apprentissage de la lecture avec optimisme et intérêt. Ceux qui font rapidement l’expérience de difficultés développent un concept de soi dégradé, s’estiment mauvais lecteurs. Onatsu-Arvilommi, Nurmi et Aunola (2002) observent chez de tels élèves scolarisés en CP, que la manifestation de conduites d’évitement à l’égard de l’apprentissage est associée à un niveau de compétences en lecture peu élevé en fin de CP. Leur motivation pour la lecture décroît ; ils lisent moins, à l’école comme ailleurs, que leurs pairs qui s’inscrivent dans une dynamique de réussite alors que la quantité lue contribue au développement de la lecture (Baker, Dreher, & Guthrie, 2000).

La mesure de l’intérêt pour la lecture que nous introduisons nous permet d’examiner le poids de la dimension conative dans le développement des habiletés impliquées dans l’apprentissage de la lecture que nous étudions dans notre recherche.

Nous pensons que l’intérêt pour la lecture suscite le désir de s’engager dans son apprentissage. L’enfant ainsi motivé pourrait plus précocement saisir que connaître les lettres constitue la clé d’entrée de la langue écrite d’où l’effet significatif particulièrement attendu de ce facteur conatif sur le développement des connaissances des lettres.