Chapite 3 : Les connaissances phonologiques et orthographiques développées avant l’enseignement formel de la lecture

L’acquisition de la lecture implique plusieurs procédures d’identification de mots que le futur lecteur met à l’œuvre au cours de son apprentissage. Le jeune enfant qui apprend à lire, perçoit tout d’abord que l’écrit code du sens ; il utilise alors la procédure dite logographique de nature essentiellement visuo-sémantique, par laquelle, les lettres constituant des objets graphiques présentent des caractéristiques visuelles qui déclenchent les premières reconnaissances de mots. Quelques lettres, en particulier celles qui figurent en début de mot, suffisent à le reconnaître sans que l’ordre des lettres soit initialement traité (Genisio & Bastien-Toniazzo, 2003 ; Bastien-Toniazzo & Jullien, 2001). Puis progressivement, l’enfant attribue aux signes graphiques une nouvelle fonction, celle de coder du son. Les lettres s’enrichissent peu à peu de l’information phonologique dont elles sont porteuses (Ecalle & Magnan, 2002) c'est-à-dire leur valeur phonémique. Confronté à l’écrit, l’enfant prend progressivement en compte toutes les lettres ; le mot n’est identifié que si toutes les lettres sont effectivement présentes avant d’être considéré comme une suite de lettres ordonnées (Bastien & Bastien-Toniazzo, 1993). Le recours à cette procédure alphabétique va permettre alors de traiter des unités ortho-phonologiques de taille plus ou moins larges. S’appuyant sur les connaissances des correspondances graphèmes-phonèmes réorganisées en fonction de la structure hiérarchique de la syllabe, le sujet peut lire directement des mots ou des non-mots sans passer par le décodage séquentiel des lettres (niveau orthographique). La reconnaissance des mots est alors basée sur un traitement des configurations orthographiques visuelles sans l’intervention systématique de la conversion phonologique. Enfin, le recours aux représentations morphologiques autorise outre la lecture de mots longs et complexes, l’extraction d’une signification des mots écrits.

L’activité de lecture suppose donc le développement de capacités de traitement d’entités linguistiques visuelles ainsi que le développement de connaissances phonologiques, orthographiques et morphologiques. Le futur lecteur doit ainsi acquérir l’ensemble des règles linguistiques qui définissent le mot écrit et qui interviennent dans les mécanismes d’identification.

Sous l’effet d’expériences et de contacts réguliers avec l’écrit, on observe chez le jeune enfant des sensibilités et des connaissances dont le développement et la construction n’obéissent pas à la chronologie proposée par les modèles classiques d’acquisition de la lecture. Ainsi, Colé, Casalis, & Gombert (2004) montrent une sensibilité à la morphologie des mots oraux avant l’apprentissage de la lecture ainsi qu’un rôle de la morphologie intervenant plus précocement et plus systématiquement avant l’apprentissage de l’orthographe. Pacton, Fayol, & Perruchet (1999) décrivent une sensibilité aux régularités grapho-phonologiques et orthographico-morphologiques, observable avant même l’apprentissage de la lecture. Pacton, Perruchet, Fayol, & Cleeremans (2001) observent des connaissances orthographiques auprès d’enfants de CP alors qu’elles ne leur ont pas été encore explicitement enseignées.

L’acquisition de ces connaissances le plus souvent de type probabiliste ou contextuel, semble s’effectuer sous l’influence de rencontres répétées des patterns orthographiques fréquents et des cooccurrences entre orthographe et propriétés orales associées. Notre système d’écriture présentant un nombre important de régularités, il convient d’explorer les mécanismes d’apprentissage mis en jeu par des sujets face à des situations présentant des régularités et de considérer avec attention le rôle de l’apprentissage implicite dans cette acquisition.