3. Des interprétations divergentes

Bien que les résultats expérimentaux ne fassent l’objet d’aucune contestation, leur interprétation du phénomène marque une divergence des points de vue. La position "abstractionniste" proposée par Reber (1967) suppose que l’apprentissage implicite dépend de mécanismes inconscients d’abstraction de règles ; au cours d’une tâche de grammaire artificielle, l’apprentissage correspond ainsi à une acquisition incidente de connaissances inconscientes sur la structure abstraite du matériel.  Selon d’autres auteurs (Brooks & Vokey, 1991), ce sont des phénomènes de mémorisation d’exemplaires spécifiques qui déterminent les résultats obtenus : c’est sur la base de cette connaissance stockée en mémoire que le sujet décide si l’item présenté en phase test est grammatical ou non à partir de la comparaison de l’exemplaire à traiter à l’exemplaire mémorisé en phase d’étude. La grammaticalité des items serait évaluée en fonction de la similarité entre l’item cible et un ou plusieurs items mémorisés. Il s’agit ici d’apprentissage d’items et non plus de règles.

Proche de cette position, Perruchet & Pacteau (1990) défendent une conception "fragmentariste" ; l’apprentissage porte ici, non pas sur la mémorisation d’exemplaires mais sur la mémorisation de fragments d’items spécifiques, généralement des bigrammes ou des trigrammes, appelés "chunks", présentés également en première phase. Le matériel est de nature à induire une segmentation identique à celle que l’on effectue spontanément sur un numéro de téléphone (Pacton, Perruchet et al., 2001). Par la suite, Perruchet (1994) précise l’influence de la fréquence de l’occurrence des bigrammes et des trigrammes, éléments ainsi rendus plus ou moins saillants dans la classification des chaînes de lettres. Par exemple lorsque le bigramme XT apparaît plusieurs fois dans les chaînes de la liste proposée en première étape, les chaînes de la phase test qui contiennent cet élément, sont considérées par le sujet comme cohérentes à l’égard de la structure grammaticale qui génère la liste de formation. Selon ces auteurs, le transfert n’est pas soumis à l’abstraction d’une règle mais dépend de l’action de mécanismes sensibles aux propriétés statistiques du matériel telles les régularités orthographiques, graphotactiques 4 et morphologiques. Ces observations sont cohérentes avec une approche statistique et distributionnelle de l’apprentissage implicite qui rend compte du rôle déterminant des fréquences dans l’apprentissage que nous évoquons plus particulièrement dans le développement des connaissances implicites orthographiques.

Sans contester l’influence de la similarité dans le transfert, Destrebecqz & Cleeremans (2005) montrent que les sujets ont appris implicitement à différencier les éléments pertinents et non pertinents selon un processus d’apprentissage qui ne peut être assimilé à de la simple mémorisation.

Comprendre comment le sujet traite et encode les stimuli contribuerait à une meilleure appréhension de l’apprentissage implicite.

Si l’apprentissage implicite est un phénomène particulièrement étudié en laboratoire depuis une trentaine d’années, il est aujourd’hui considéré comme un processus fondamental impliqué dans des domaines aussi divers que l’apprentissage d’une première et seconde langue, l’élaboration de catégories, l’acquisition d’habiletés sociales et de connaissances sur le monde physique ou encore l’acquisition de la lecture et de l’écriture.

Notes
4.

Associations régulières et fréquentes de lettres associées à des configurations sonores