B- Connaissances linguistiques implicites et acquisition de la lecture : une modélisation de l’apprentissage de la lecture

Gombert (2003) propose une conception de l’apprentissage de la lecture qui accorde une place signifiante à la dimension implicite de cet apprentissage. Au contact de l’écrit, les jeunes enfants exposés aux nombreuses régularités que comporte notre système d’écriture, extraient une connaissance implicite de certaines caractéristiques structurales de l’écrit. Cette connaissance implicite découle de connaissances linguistiques et de capacités de catégorisation d’objets perçus visuellement préexistant à la rencontre de l’écrit et qui, sous l’influence des régularités perçues et manipulées dans l’environnement écrit, vont évoluer ainsi :

Le modèle proposé par Gombert (2003) intègre les dimensions implicite et explicite de l’apprentissage ainsi que la double nature du code écrit (correspondance graphème-phonème, correspondances entre configurations orthographiques et morphèmes) dans l’apprentissage de la lecture (cf. Figure 3).

Figure 3 : L’apprentissage de la lecture: A simple view of learning to read (Gombert, 2003).
Figure 3 : L’apprentissage de la lecture: A simple view of learning to read (Gombert, 2003).

Figure 3 : dimensions implicites et explicites de l’apprentissage de la lecture.

Dès les premiers contacts avec l’écrit, l’enfant amorce un travail de découverte et élabore des hypothèses sur les lettres et sur l’écrit qui vont nourrir et développer les connaissances conscientes sur la langue écrite. La place accordée à l’aspect implicite de l’apprentissage ne signifie pas accorder une importance moindre aux efforts cognitifs que l’enfant met en œuvre pour apprendre à lire. L’apprentissage explicite des correspondances graphèmes-phonèmes demeure incontournable et primordial d’une part, tant que les connaissances implicites ne sont pas suffisantes pour permettre une lecture automatisée, et d’autre part, dans les situations de lecture de mots inconnus, par exemple, nécessitant alors un contrôle conscient de l’activité de lecture. Ainsi, le rôle des connaissances contrôlées installées par enseignement reste donc fondamental car l’apprentissage explicite permet à la fois, l’accroissement de la fréquence de la manipulation d’écrits chez le débutant (donc nourrit indirectement le développement des connaissances implicites, cette fréquence constituant le moteur de l’apprentissage implicite) et conduit à l’installation progressive d’un ensemble de connaissances susceptibles d’être utilisées intentionnellement pour compléter ou pour contrôler le produit des traitements automatiques.  Ces connaissances explicites s’activeraient de plus en plus facilement, mais jamais à coût nul. L’allègement de ce coût cognitif provoqué par exemple, par l’exercice répété de règles, ne conduit pas à l’automatisation.

En conclusion, le modèle proposé par Gombert peut apporter un élément vers une compréhension d’un aspect du problème soulevé par le passage des connaissances implicites aux connaissances explicites. L’automaticité qui caractérise l’activité de lecture chez l’expert résulte « des apprentissages implicites s’effectuant sur base fréquentielle dans la répétition des manipulations de l’écrit ». A chaque niveau d’expertise, ce qui est automatique, c’est la manifestation comportementale du niveau actuel des connaissances implicites dont l’organisation, au contact des régularités internes et contextuelles perçues des mots écrits, va progressivement évoluer et conduire à la lecture experte. Par conséquent, cette automaticité ne serait pas consécutive à la transformation des processus contrôlés issus de l’enseignement qui se seraient automatisés comme le suggère "la conception dominante, le cognitivisme classique" mais s’installerait parallèlement à ces processus.

Quelle est la part de l’apprentissage implicite dans l’acquisition des connaissances fondamentales à la maîtrise du code alphabétique ?