A - Les différents niveaux de la conscience phonologique

Avant l’apprentissage de la lecture, le jeune enfant témoigne d’habiletés phonologiques suggérant l’implication de différents traitements cognitifs, (le terme d’habiletés phonologiques permet de rendre compte de l’ensemble de ces traitements, nous le verrons, plus ou moins accessibles à la conscience). A deux ans, il peut déjà jouer avec des éléments de la langue; à trois ans, il fait preuve d’une sensibilité aux unités phonologiques du langage indépendamment de leur signification : l’enfant est capable de cerner la frontière des mots, détecter des rimes ou encore répéter des unités phonologiques de difficulté variée. Casalis et Lecocq (1992) décrivent un système embryonnaire de représentation et de traitement de l’information phonologique chez les enfants de quatre ans. On observe auprès d’enfants de cinq ans, des capacités à détecter des unités phonologiques communes (Duncan, Seymour, & Hill, 1997), à catégoriser des mots à partir d’une unité phonologique partagée ou différente (Lecocq, 1991) ou encore à juger de la similitude d’unités phonologiques (Harris & Beech, 1998). Toutefois, ces capacités semblent s’exprimer uniquement dans la manipulation de syllabes, l’enfant d’âge préscolaire semblant ignorer l’existence des phonèmes qu’il produit et qu’il utilise pour distinguer les mots (Ecalle, Magnan, 2002). A six ans, l’enfant parvient à un véritable contrôle des phonèmes.

Les tâches qui conduisent l’enfant à manipuler différentes unités permettent d’étudier la conscience phonologique dont le développement semble obéir à une certaine chronologie. Cette activité particulière exercée sur la parole porterait dans un premier temps sur les rimes et les allitérations, dans un second temps sur les syllabes, puis sur les unités infrasyllabiques (attaque-rime) et enfin sur les phonèmes (Treiman, 1989b ; Bryant, 1993). On observe ainsi l’existence d’une gradation dans les compétences phonologiques (Bryant, MacLean, & Bradley, & Crossland, 1990) : certaines apparaissent bien avant l’acquisition de la lecture (e.g. conscience syllabique) et d’autres, plus tardives, se développent avec l’apprentissage systématique de la lecture (conscience phonémique). La conscience phonologique n’apparaît donc pas comme un "bloc" homogène mais serait plutôt une collection de compétences organisées ayant une influence les unes par rapport aux autres (Alegria & Morais, 1989). Cette hétérogénéité liée aux différents niveaux d’abstraction dans le traitement phonologique est illustrée dans le modèle de Morais (1991a) qui propose quatre types de conscience phonologique :

  • la conscience des chaînes phonologiques en rapport avec certains aspects du discours comme l’intonation, la mélodie, …
  • la conscience phonétique qui permet de percevoir la parole comme une suite de segments, la sensibilité aux rimes.
  • la conscience syllabique, liée à la capacité de repérer chaque syllabe à l’intérieur d’un mot. Magnan & Colé (2000) la définissent comme une véritable unité d’analyse du langage oral.
  • la conscience phonémique, forme la plus abstraite de conscience phonologique où l’identification de phonèmes ne s’appuie pas sur une base physique simple (propriétés physiques du stimulus sonore) mais sur une mise en relation des unités linguistiques minimales (graphème-phonème). C’est son acquisition qui détermine les progrès futurs dans l’apprentissage de la lecture.

Cette conception soutient l’idée d’un développement continu et progressif, d’une conscience syllabique à une conscience phonémique et décrit le développement de grandes unités vers de plus petites, conception également partagée par Goswami et Bryant (1990) qui constatent le traitement par le lecteur débutant d’unités plus larges que la lettre.

S’opposant à ce point de vue relatif à la taille des unités phonologiques traitées, Seymour et Duncan (1997) décrivent une capacité chez l’apprenti lecteur à manipuler les phonèmes avant les rimes suggérant ainsi le développement discontinu de la conscience phonologique. Sous l’influence de l’apprentissage institutionnel, l’enfant traiterait le phonème avant les unités intermédiaires. La tendance naturelle observée dans le développement du langage oral, d’un passage des syllabes aux attaques/rimes s’inverserait avec l’acquisition du code alphabétique. Le traitement de petites unités (onset, pic, coda) devancerait celui d’unités plus larges (body, rime), conclusions partagées par Duncan, et al., (1997) de travaux menés sur la lecture de pseudo-mots auprès d’enfants suivis de GS au CE1. Selon ces derniers, l’apprentissage de la lecture s’opérerait sur les correspondances graphèmes-phonèmes puis sur les unités plus larges. Morais (2003) propose deux manières de concevoir cette proposition : les unités larges remplacent les plus petites (évolution d’un décodage séquentiel intentionnel) ou s’y ajoutent progressivement (constitution progressive d’un système de traitement automatique).