Chapitre 4 : Les connaissances des lettres de l’alphabet

Le système d’écriture de la langue française s’appuie sur le principe alphabétique qui consiste à apparier des lettres ou groupes de lettres (graphèmes) à des unités abstraites (phonèmes). L’alphabet comprend vingt-six lettres et six marques diacritiques, trente-huit graphèmes parmi lesquels dix-sept sont vocaliques et vingt-et-un consonantiques. Le français moderne comprend trente-six phonèmes : dix-sept sont des consonnes, seize des voyelles, et trois des semi-voyelles (Catach, 1980). Benveniste (1966) définit la voyelle comme une unité du langage oral traduisant un son "musical" discernable et la consonne, un "bruit" nécessitant toujours la présence d’une voyelle pour la rendre perceptible. La voyelle (du latin "vocalis", adjectif de voix) qui correspond effectivement à des sons est autonome contrairement à la consonne (du latin "consona", qui sonne avec) : la consonne ne sonne pas en elle-même, elle modifie le son de la voyelle qui l’accompagne. Ces caractéristiques phonologiques de même que la spécificité et la fréquence des correspondances entretenues entre phonèmes et graphèmes ne sont pas sans incidence sur la connaissance des différentes lettres, ainsi que nous le montrons dans la partie expérimentale de notre étude.

La phonographie phonémique du français ne correspond pas à une solution alphabétique stricte : la valeur phonique n’est pas nécessairement en relation biunivoque avec la lettre ou le graphème. Une même lettre peut représenter plusieurs phonèmes (c→/s/ ou /k/), un même graphème peut se prononcer différemment selon le contexte (ch→ /k/ ou /∫/) de même que plusieurs réalisations graphémiques transcrivent un même phonème (/o/ se transcrit o, eau, au).  Cette complexité des relations entre configurations de sons et configurations graphiques conduit à qualifier d’irrégulière l’orthographe du français tout comme celle de l’anglais (plus opaque encore), contrairement aux codes orthographiques de certaines langues, beaucoup plus transparents (avec une correspondance entre graphèmes et phonèmes régulière), comme le finnois, l’espagnol, ou l’italien. Plus précisément, le français est une langue qui associe un processus de lecture transparent à un processus orthographique opaque. Les irrégularités des correspondances graphème-phonème sont relativement rares (les graphèmes f et ph se prononcent toujours /f/ ; o, eau et au se lisent toujours /o/) alors que la correspondance grapho-phonologique exige de connaître les différentes manières d’écrire un même son (/s/ peut se réaliser par s, ss, t, sc, c, ç). La terminologie des "graphonèmes" empruntée à Véronis (1986) permet de rendre compte de cette complexité : un graphonème correspond à une paire constituée d’un graphème et de sa contrepartie phonématique (e.g. /s/→sc). Certains sont dits consistants car possédant une relation univoque (/t/→t). Les graphonèmes inconsistants (e.g. /ã/→an, am, en, em) exigent des connaissances lexicales spécifiques.

Dans la plupart des sociétés de culture écrite et de système d’écriture alphabétique, de nombreux enfants apprennent très tôt l’alphabet. Ces connaissances précoces et plus particulièrement celles du nom des lettres servent de point d’appui pour entrer dans l’apprentissage de la langue écrite.