C- Le nom des lettres : Une ressource dans l’acquisition du principe alphabétique

Les enfants familiers avec le nom des lettres, utilisent cette connaissance lorsqu’ils lient écrit et oral (lecture) et oral et écrit (orthographe).  Le rôle joué par la connaissance du nom des lettres engagée dans l’écriture et la lecture précoces pourrait expliquer la force prédictrice que lui confère ce rôle dans la réussite ultérieure en lecture et en orthographe ; grâce au nom des lettres, les jeunes enfants peuvent progresser d’un traitement purement visuel des mots à une procédure basée sur des indices phonétiques posant ainsi les fondations de la litéracie.

Cette progression observée dans les stratégies de lecture et d’écriture semble s’opérer parallèlement à certains changements représentationnels dans le développement cognitif de l’enfant notamment l’évolution de la conceptualisation de l’écrit alphabétique. Selon Ferreiro (1977), l’enfant développe une conception phonologique de l’écrit – les mots écrits symbolisent les mots parlés – à partir de l’expérience qu’il fait de l’écriture de mots. Il devient capable d’articuler des habiletés impliquant l’analyse explicite des mots en segments phonémiques avec la connaissance qu’il possède du nom des lettres. Cette conjugaison ne peut se réaliser que lorsque l’enfant dépasse les premiers concepts sur le code écrit, lesquels associent le langage écrit avec une représentation des propriétés sémantiques des mots. Byrne (1992) attribue cette progression à l’apprentissage de la valeur phonémique des lettres tandis que Kolinsky, Morais et Cluytens (1995) invoquent l’influence de la conscience de la structure phonémique du langage parlé. Treiman, Sotak et al., (2001) suggèrent qu’en utilisant la co-occurrence des lettres dans l’écriture des mots et le nom des lettres dans leur prononciation, l’enfant pourrait non seulement appréhender la nature phonologique de l’écrit mais également comprendre que les lettres constituent des unités de base dans l’établissement des relations oral-écrit. Pour autant, la connaissance du nom des lettres permet-elle de saisir la structure alphabétique des mots écrits ? Levin et al., (2002), Treiman, Sotak, et al., (2001) considèrent que cette connaissance à elle seule est insuffisante pour extraire la valeur phonémique des lettres et accéder au principe alphabétique. Les enfants prélecteurs manifestent bien une capacité à exploiter les indices phonologiques correspondant au nom des lettres pour orthographier, apprendre et reconnaître des mots écrits sans pourtant parvenir à exploiter le son des lettres (e.g. PL pour pole) contrairement aux lecteurs novices. Si certaines études considèrent que la connaissance du nom des lettres favorise l’émergence d’une sensibilité à la valeur phonémique des lettres permettant aux prélecteurs d’apprendre des écritures phonétiques dont les lettres correspondent à leur valeur phonémique, sur la seule base de leur connaissance du nom des lettres (Cardoso-Martins et al., 2002 ; Roberts, 2003), il semble qu’une sensibilité phonologique précoce telle l’habileté à segmenter une syllabe en attaque-rime, à en identifier l’attaque (onset), associée à la connaissance du nom des lettres soit nécessaire pour permettre à l’enfant de découvrir par lui-même le principe alphabétique.

Les enfants commencent à relier l’oral et l’écrit sur la base du nom des lettres mais doivent cependant apprendre à utiliser les correspondances basées sur la valeur phonémique des lettres pour progresser vers l’acquisition de la langue écrite. Treiman, Tincoff et al., (1998) suggèrent que les enfants utilisent la connaissance du nom des lettres lorsqu’ils en apprennent la valeur phonémique plutôt qu’ils ne recourent à des appariements arbitraires lettre-son qu’ils auraient mémorisés (Windfuhr & Snowling, 2001). Le nom de la lettre offrirait ainsi l’opportunité aux futurs lecteurs de découvrir par eux-mêmes les correspondances lettre-phonème (e.g. Thompson, Fletcher-Flinn, & Cottrell, 1999). Cette approche d’un apprentissage implicite de ces correspondances suppose donc un décalage entre les connaissances relatives au nom des lettres et celles portant sur leur valeur phonémique, l’acquisition de celles-ci se produisant plus tardivement ; décalage observé auprès d’enfants de maternelle (McBride-Chang, 1999 ; Levin, Shatil-Carmon et al., 2006) comme auprès d’élèves de CP (Treiman & Broderick, 1998).