2. La lettre initiale du prénom

Chez les enfants les plus jeunes, la lettre initiale bénéficie déjà d’un statut particulier. En effet, ces enfants paraissent distinguer leur prénom des autres mots écrits en utilisant uniquement la lettre initiale (Villaume et al., 1989). Ils ne connaissent pas les formes conventionnelles de l’ensemble des lettres du prénom mais peuvent identifier la première lettre (forme visuelle et étiquette conventionnelle). Ainsi, un garçon nommé Dan à qui l’on montre la lettre d pour lui en demander le nom, répond que la lettre se dit Dan. Les résultats de Villaume et Wilson suggèrent que les jeunes enfants tendent à maîtriser la graphie de la lettre initiale du nom avant celle des autres lettres. Cependant, cette étude principalement descriptive n’a donné lieu à aucune donnée quantitative.

Invités à orthographier une série de non-mots énoncés, de jeunes enfants anglophones (de 5,6 ans à 6,8 ans) ont tendance à tracer la première lettre de ces items en capitales d’imprimerie ainsi que la lettre correspondant à l’initiale de leur prénom et ceci, quelque soit sa position dans le non-mot (Treiman & Kessler, 2004).

Plus tard, la prégnance du prénom semble persister et cela quel que soit l’âge ; les enfants et adultes, invités à désigner les lettres de l’alphabet qu’ils préfèrent ou à choisir la lettre la plus attirante parmi un groupe de lettres, indiquent une nette préférence pour les lettres de leur prénom ainsi qu’une attirance renforcée pour la lettre initiale du prénom et celle du patronyme (Hoorens & Todorova, 1988).

Les connaissances développées à l’égard de cette lettre particulière sur son nom et sa valeur phonémique sont inégales (Treiman & Broderick, 1998). Trois groupes d’enfants australiens (âge moyen de 5,5 ans) américains (5,8 ans et 4,10 ans) doivent nommer et donner la valeur phonémique de l’ensemble des lettres de l’alphabet. Les résultats indiquent une supériorité significative pour la lettre initiale du prénom dans les tâches portant sur le nom de la lettre. Cette tendance s’observe également pour les autres lettres du prénom mais sans être significative. Par contre, aucun effet n’est observé sur l’habileté à fournir le phonème symbolisé ni par la lettre initiale ni par les suivantes. Dans une seconde expérience, une population d’enfants d’âge préscolaire (âge moyen de 4,11 ans) dont le prénom commence par d, j, k, m, r, ou s doivent nommer et fournir la valeur phonémique de ces six lettres. Il est proposé aux enfants qui échouent, une seconde tâche à choix forcé où ils doivent sélectionner le nom et la valeur phonémique de chacune d’entre elles parmi deux propositions. Les résultats issus des deux séries de tâches indiquent un avantage pour le nom de la lettre initiale sans différence significative entre nom et valeur phonémique des autres lettres du prénom. A la suite de cette expérimentation, Treiman et Broderick interrogent les enfants sur la lettre initiale (e.g. Par quelle lettre commence doll, d ou p ?) et sur le phonème initial (e.g. Par quel son commence jar, /tə/ ou /də/ ?) d’un échantillon de mots prononcés. La réussite aux deux tâches nécessite d’une part, la connaissance du phonème et d’autre part, un certain niveau d’habileté phonologique leur permettant d’extraire le phonème du mot-cible. Les enfants dont le prénom commence par une lettre particulière ne connaissent pas davantage le phonème symbolisé par cette lettre. La connaissance de la valeur phonémique de la lettre ne parait pas affectée par l’expérience du prénom.

La nature des activités de l’enfant autour de son prénom pourrait expliquer cette supériorité du nom de la lettre. Très souvent, l’adulte épelle les lettres par leur nom plutôt que par sa valeur phonémique, tout en produisant les graphies successives, ou en accompagnant l’écriture de l’enfant.

D’abord, le prénom, " objet oral" et le prénom " objet écrit" semblent fonctionner comme une totalité indivisible (Villaume et al., 1989). Progressivement, l’enfant développe des connaissances sur le nom des composants graphémiques puis établit des relations entre les éléments de la forme orale et des éléments de la forme écrite, commençant par les éléments initiaux et si c’est bien l’exposition combinée de la forme visuelle du prénom et de son épellation orale qui est déterminante, alors, il semble tout à fait logique de ne pas observer un avantage significatif dans la connaissance de la valeur phonémique de la lettre initiale du prénom.