3. Des procédures particulières de traitement

Bien que l’influence de l’expérience du prénom concerne plus particulièrement la lettre initiale, les enfants développent des connaissances, certes moindres, des lettres suivantes le composant. Des résultats issus de travaux en langue française (Ecalle, 2004) montrent que la présence des voyelles dans le prénom est associée à de meilleurs connaissances de ces lettres (nom et valeur phonémique) tandis que l’absence dans le prénom des consonnes à fréquence graphonémique 7 faible s’avère liée à leur méconnaissance. Cormier (2006) reproduit l’effet de facilitation du prénom dans des tâches d’identification et de production graphique des lettres de l’alphabet.

L’impact de l’exposition du prénom s’exprime également dans les productions orthographiques précoces. Treiman, Kessler, & Bourassa (2001) ont ainsi observé certaines erreurs dans la production de mots écrits dont l’explication semble découler des connaissances des lettres formant le prénom. Par exemple, Danny écrit YOONYY pour fur et Scott produit TCTBA pour work. Les analyses statistiques confirment que les lettres du prénom de ces enfants de GS sont surreprésentées dans les erreurs commises, quelle que soit leur position dans le prénom, sans priorité signifiante pour la lettre initiale. Cependant, des investigations supplémentaires nous semblent nécessaires pour entériner de telles affirmations tel l’examen de productions d’enfants plus jeunes. Ce phénomène d’intrusion des lettres du prénom ne se produit que sur une période limitée : de telles orthographes ne sont pas observées auprès d’enfants de CP ou de CE1.

Le lien que l’enfant établit, et ceci dès la maternelle, entre l’écriture de son prénom et sa prononciation particulièrement sur les éléments initiaux, suggère l’élaboration de connaissances précoces et le recours à un traitement de nature analytique. Cette hypothèse diffère de la conception développementale de Frith (1985) qui décrit l’existence d’une première période de type logographique au cours de laquelle l’accès au sens se fait directement, sans médiation phonologique, mais s’avère cohérente avec les résultats issus des recherches de Sprenger-Charolles & Bonnet (1996). Ces chercheurs n’ont pas pu observer réellement de trace de stratégies logographiques auprès d’enfants français (GS et CP) mais plutôt des manifestations indiquant une sensibilité aux propriétés phonologiques des mots. Le traitement particulier dont bénéfice le prénom nous parait illustrer la coexistence des procédures logographique et alphabétique évoquée précédemment. Les enfants adoptent une approche basée sur les unités minimales que sont les lettres, pour traiter le prénom écrit, alors que dans un même temps, ils recourent à des processus de reconnaissance visuelle des signes et autres mots écrits dépendante du contexte environnemental (couleurs, silhouette…).

Au regard des appuis théoriques développés par Ehri (1997), les orthographes YOONYY (pour fur) et TCTBA (pour work) relèveraient du stade préalphabétique du développement orthographique décrivant une suite de lettres aléatoire. Les résultats obtenus par Treiman et al., (2001) avancent que les productions ne relèvent pas du hasard comme il peut le sembler au premier abord. La raison pour laquelle Scott écrit t au début de work est sans doute à rechercher davantage dans la familiarité de cette lettre que dans une représentation erronée selon laquelle la forme orale de work débute par/t/.Le prénom est-il alors à considérer comme un stock de lettres que le jeune enfant à tendance à user et sur-utiliser ? Ou plutôt comme une base à partir de laquelle les connaissances alphabétiques se développent ?

Quel que soit le type des premiers indices extraits et traités par le jeune enfant, nous pouvons avancer que l’intensité et la nature de l’expérience avec le prénom permettent à l’enfant de développer des stratégies d’identification de lettres, qui peuvent plus tard être transférées à d’autres unités linguistiques. Plus généralement, la coordination de comportements d’écriture précoce et de la familiarité initiale avec un mot écrit porteur d’une signification stable semble constituer un amorçage des connaissances de litéracie émergente. L’exposition précoce à l’écriture du prénom et la familiarité qui en découle seraient ainsi à envisager comme les fondements à partir desquels le jeune enfant découvre et développe des connaissances de plus en plus précises sur les conventions de la litéracie englobant à la fois une conscience phonologique et une conscience de l’écrit (e.g. les mots sont formés de lettres, celles-ci se produisent selon un ordre défini et symbolisent un son qui leur est spécifique).

Indicateur du niveau de connaissances dans le domaine de la langue écrite, la représentation écrite du prénom, pourrait également constituer une source solide et affectivement ancrée de connaissances nourrissant le développement progressif de l’apprentissage du code alphabétique dés lors que la production du prénom s’exerçant dans les différents répertoires d’écriture, s’accompagne d’activités d’épellation et de repérage phonémique (Ecalle, 2004).

Notes
7.

d’après la table de fréquence graphonémique de Véronis (1986)